Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

MES FOUS 29» regard qui, plus encore que la torture de Teau, l ’anéantissait. « Domptée, elle s’atterra à mes pieds et implora ma merci. Je la changeai en bête. Une corde autour du cou, nue, elle rampa sur le ventre, mangea et but dans une auge, s ’immobi­ lisa en des torpeurs d’étable. « Je la trouvai pendue, un matin. Elle était devenue hideuse à contempler. » « Moi, fit le troisième, après un silence admiratif pour tant d’ingéniosité et d’énergie, j ’ ai toujours éprouvé au contact de la femme presque un dégoût. Dès ma plus tendre enfance, j e manifestais la plus grande répugnance à embrasser une petite fille. Je redoutais même le baiser maternel. La paume de mes mains se couvrait de sueur, le jour de l’an, à la seule pensée des embrassades obligatoires. Vous devinez que l ’état merveil­ leux et singulier dont vous avez joui ne me vint pas de la traî­ trise d’une femme. J’atteignis cet enthousiasme des sens et de l’esprit par l’exercice journalier de ma vengeance contre un être charmant de corps et d’esprit, mais plus dépravé qu’ une courtisane. « J’avais comblé mon ami de tout ce qui à vingt ans peut flatter et exalter un cœur généreux. Ma maison était la sienne. Il se mouvait dans mon luxe et dans mes pensées avec l’ aisance d’ un fils. Il déployait même la tyrannie d’ une petite maîtresse et ses caprices troublaient parfois notre harmonieuse amitié. J’eus tort de l’accabler du poids de ma libéralité. Partout où il allait, sa parole légère et parfumée répandait les plus viles accusations. Avec une habileté longtemps insoupçonnée, il tissa autour de moi la plus moëlleuse, mais la plus envenimée toile d’ araignée. « Quand je voulus sortir de l’atmosphère de soupçons où je me vis enfin enveloppé, le fourbe m’avait perdu à tout jam ais. «Les mères écartaient de moi les enfants; les hommes m’écou- taient, des insultes muettes dans les yeux; les jeunes gens m’observaient avec défiance. Je quittai l’ Europe pour aller nourrir dans les foules des peuples nouveaux l’espoir de ter­ rasser le monstre. « Armé pour la vengeance, on m’avait oublié. Lui menait un train assez brillant et semblait installé fortement dans l’es ­ time de ses concitoyens.