Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/131

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REVUE DE LA QUINZAINE 317 Depuis Engels et Karl Marx, quede fois n’avons-nous pas entendu développer cette formule du « prolétariat conscient» réalisant sa des­ tinée? Et à quoi tout ceci a-t -il abouti ? A un commencement évident diï conscience dans la classe ouvrière qui s ’est manifesté aussitôt par une désaffection totale vis-à -vis des politiciens, vis-à -vis des initia­ teurs. L ’action socialiste a dû se transformer et de « politique et par- lementaire» devenir de plus en plus « syndicaliste ». Ceci s’est passé en France et s’est passé également en Angleterre, où récemment M. Lloyd Georges dénonçait l’inutilité de l ’action parlementaire d’un Burns. Précisément, aux colonies comme dans la métropole, l ’heure sonne vite où les exploités dont on provoque imprudemment l ’éveil prennent conscience exacte de leur sort et s ’aperçoivent de l ’ironie des prophètes ou de leur aveuglement, comme on voudra. Saisissant avec cette pénétration subtile et presque morbide des déshérités et des désabusés l ’énorme contradiction qui sépare et oppose la théorie au fait, ils comprennent que ce qui importe surtout aux «. plus civi­ lisés », c’est le m axim um de rendement à obtenir. Ils sentent que l’humanité, dans tout cela, n’est qu ’ une étiquette trompeuse voilant mal la préoccupation « des plus grands et plus sûrs profits ». Alors, c ’ est l’explosion des haines, c ’est le fossé creusé, le malentendu cruel et souvent irréparable, car la sensibilité des masses est exacerbée, quasi-féminine. Alor s,c ’est la lutte de classes érigée en principe im­ placable, dans la métropole ; c ’est l ’hostilité sourde de nos sujets daus nos possessions d’outre-mer.M . de Pouvourville, dans un article de la Dépêche coloniale, rappelait dernièrement: «On a mis à Poulo- Condore le fameux rhéteur indigène Pham-chu-trinh ; on l ’a déclaré coupable d’incitation à la révolte contre l ’autorité française ; or, j ’ai lu très attentivement tout ce qu’on a incriminé dans « l ’œuvre de pro­ pagande » de Pham-chu-trinh, et ses convictions — du moins celles qu’il a énoncées — peuvent se résumer ainsi : « Du moment que les Annamites ne sont pas assez forts pour se conduire eux-mêmes, ils ne peuvent avoir de meilleurs tuteurs que les Français. » On ne saurait demander de meilleurs sentiments à un Lorrain vis-à - vis de l’Allemagne ni à un Polonais vis-à -vis de la Russie. On ne doit pas demander plus à un Annamite vis-à -vis de la France. Et j ’estime que l’indigène assez influent sur ses compatriotes pour leur faire accepter notre domination sous cette forme rend un service à la cause française. » M. de Pouvourville a raison. Ce brave Annamite, qui admettait le principe d ’association tutélaire posé par M. Hubert et s’en faisait l ’apôtre auprès de ses compatriotes, était bien coupable : on le lui fit voir en l ’envoyant à Poulo-Condore. Combien faut-il d’ex­ périences de cette sorte pour dégoûter à jam ais de notre sentimenta­ lism e même « un monde qui s ’éveille » ? Cette question de doctrine générale évoquée, constatons que l ’ouvrage de M. Lucien Hubert