Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/143

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KEVUE DE LA QUINZAINE de celui qu’il remplacera, peut-être,à l ’Académie Française... Ah ! l’humanité n’est jamais si peu maîtresse de ses secrets que dans un cimetière !... M. Auguste Dorchain était navré, sans doute, mais il était candidat, dès lors, au fauteuil de Goppée... Les poètes en mal d’honneurs voient toujours au delà,chacun le sait... Je regardais donc vers ma droite, entre les cyprès et les monu­ ments... Tout à coup,un bruit de pas, comme d’ une troupe bien disciplinée en marche, attira mon attention vers la gauche. Je ne distinguais rien encore. J ’entendis murmurer le nom de Paul Dérou­ lède. Etaient-ce les morts ? Etaient-ce les vivants ? Sait-on jamais, dans un cimetière ?... Large de poitrine, du ventre sous sa redin­ gote, haut sa tête coiffée d’un chapeau de soie qu’il portait presque en bataille, M. Paul Déroulède m’apparut. Aujourd’hui, je trouve qu’il ressemble beaucoup au nouveau roi des Bulgares. M. Paul Déroulède entraînait des hommes ! Répétant un mot fameux,je dis de ces hommes : « Ah ! les braves gens! » Ils portaient les insi­ gnes de la L. D. P . C’étaient presque tous des vieillards. Ils frap­ paient du pied, comme pour réconforter les morts : «Nous sommes un p eu là!... Alsace...Lorraine... Quand même!... » Je vous jure que j ’en éprouvai une tristesse infinie. M. Paul Déroulède la dis­ sipa d’un grand coup de chapeau théâtral. Salua-t-il Catulle Mendès? ou Léon Dierx? ou Emile Bergerat? ou Armand d’Artois, qui écrivit la Guerre de cent ans avec Coppée ? Je ne le sais point. Je sais qu’il salua à la manière d’ un monarque, mieux que ne salua probablement Bonaparte revenant d’Italie. Et derrière M. Paul Déroulède, tous les ligueurs débiles saluèrent à leur tour. Quelques-uns perdirent la cadence’ du pas, faute de pouvoir faire deux choses à la fois. Ce n’est pas Raffet qui aurait croqué ce tableau héroïque et bouffon. C ’est Daumier ! Ce pourrait être M. Forain. Voyons, maintenant, ce qu’est M. Paul Déroulède, d’après MM. Jérôme et Joseph Tharaud, s’il vous plaît : Pa r un je u plaisant du hasard, les deux témoins de rencontre qui signè­ rent sur les registres de Saint-Germain-l’Auxerrois la déclaration de sa naissance furent deux braves gens de tambour. Son père était un des avoués les plus honorablement connus de Paris; il est neveu d’Emile Augier par sa mère. Un nom qui lui ouvre toutes les portes, bonne mine, de la fortune^ c’est-à -dire les loisirs et les élégances nécessaires, voilà qu i lui ht à vingt ans la plus aimable jeunesse. Sa famille le destinait au bar* reau ; il ne s’intéressait qu’aux lettres. On le soumit à une épreuve : il partirait en Charente ; il y travaillerait à son aise et l’on jugerait au retour ce qu’il était capable de faire. Doux exil 1 charmante solitude de L an gély ! Dans cette campagne un peu sèche, c ’est la plus fraîche retraite. Un ruisseau, des prés ajonneux coupés de baies épaisses, un petit bois, ni trop soigné, ni trop sauvage, des vignes sur les pentes, des pêchers de plein vent et des genévriers, toutes les grâ­