Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/170

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3£6 MERCVRE DE FRANCE— 16-xi-1908 devra posséder : ce sont la Vie et les Œuvres d’Aristote Valao ritis, le dernier des rhapsodes grecs, de qui la lyre ne vibre que pour faire souvenir, comme la cloche des morts glorieux. Ce monument de piété poétique et nationale vient à son heure s’ajouter à l’édition Solom os,et Kalvos, nous l’espérons, aura bientôt son tour. Encore que M. Roïdis, avec son voltairianisme compréhensif, ait tenu à montrer combien la manière du g ran d Epirote influencée de Victor Hugo s’éloigne des vrais classiques, nous ne pouvons nous empêcher de le considérer comme l ’héritier le plus direct du vieil Homère. Nul n’est davantage épique au sens propre du terme, tant par la profondeur du sentiment que par la puissance de l ’im age et la faculté suréminente d’animer les choses elles-mêmes. L a matière dont il se sert est celle des chants klephtiques, et quand il célèbre Vlakhavas, Phrosyne ou Athanase Diakos, c’ est le même but de libération qu’il poursuit. Son atmosphère naturelle est l’ enthousias­ me ; aussi son œuvre dégage-t -elle une impression toute spéciale de romantisme, mais de romantisme spontané, vivant, non artificiel ni voulu, malgré le souci parnassien du mot. Oû s’étonnera que nous ayons pu tout à l’heure lui donner le titre d ’Epirote, alors que la destinée le fit naître et mourir Ionien, à Sainte-Maure. C ’est que toute son inspiration et la langu e dont il se sert, sa race même le rattachent particulièrement à l’Epire ; c ’est que Sainte-Maure est en réalité une île èpirote.« Valaoritis était bien, dit Nirvanas, de la race des aigles ; il avait la nostalgie des temps héroïques. » L ’édition nouvelle permettra d’autant mieux d’apprécier l ’homme et l ’œuvre qu’ elle nous offre toute une série d’inédits, spécialement les lettres, les discours politiques et qu’elle recueille pour la première fois toute une série de précieux documents biographiques. Il faut, comme Vlakhavas, être le fils des amours suprêmes de l ’Olympe et de l’Ossa pour porter en soi cette flamme, cette passion de grandeur et de liberté. On reconnaît à l’accent cette sorte de Grecs de qualité supérieure. Je songe à Christovasilis, dont précisé­ ment je viens de lire les Funérailles du Platane, un conte qui a la saveur musicale d’une rhapsodie des montagnes; je songe au doux Krystallis et à tout ce que la Grèce nouvelle doit à la terre d’Epire. Ceux-là n ’ont guère perdu leur temps en vaines discussions d’école; leur art s’enracine dans le sentiment pur ; il jaillit directement du sol natal, et la source de toute véritable renaissance est là. Ah ! par ces temps troubles de Crise balkanique, qu’il fait bon relire les vers vibrants du grand aède ! L’Europe, en vérité, s’est montrée injuste envers les Grecs, qui constituent bien, à travers l’Orient rouméliote, le plus vivace élément du progrès et de civilisa­ tion. Les Cretois, une fois de plus, se jettent dans les bras de la mère patrie, et n ’est-ce pas chez eux q u’il faut aller chercher les premiers