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Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/20

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MERCVRE DE FRANCE — 16-XI-1908

seur de théologie Krause, à Kœnigsberg, a été appeléà Weimar comme surintendant général, après la mort de Herder. Il ne serait pas impossible que sa mère, mon arrière-grand’mère, figurât sur le journal du jeune Gœthe sous le nom de « Muthgen ». Elle épousa en secondes noces le surintendant Nietzsche, à Eilenbourg. Le 10 octobre 1813, l’année de la grande guerre, le jour où Napoléon entra avec son état-major à Eilenbourg, elle accoucha d’un fils. Étant Saxonne, elle eut toujours une grande admiration pour Napoléon ; il se pourrait bien que je la partage, aujourd’hui encore.

Mon père, né en 1813, est mort en 1849. Avant de prendre possession de sa cure dans la commune de Rœcken, non loin de Lützen, il passa quelques années au château d’Altenbourg, où il fut chargé de l’instruction des quatre princesses. Ses élèves étaient la reine de Hanovre, la grande-duchesse Constantin, la grande-duchesse d’Oldenbourg et la princesse Thérèse de Saxe-Altenbourg. Il était rempli d’une piété profonde à l’égard du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, lequel le nomma à sa paroisse. Les événements de 1848 l’attristèrent au delà de toute mesure. Moi-même, né le jour anniversaire dudit roi, le 15 octobre, je reçus comme de juste les prénoms Frédéric-Guillaume, usités dans la maison de Hohenzollern. Le choix de ce jour eut en tous les cas un avantage : durant toute ma jeunesse, mon anniversaire coïncida avec un jour de fête.

Je considère que ce fut pour moi un privilège considérable d’avoir eu un pareil père ; il me semble même que par là s’explique tout ce que je possède de privilèges, — abstraction faite de la vie, de la grande affirmation de la vie. Je lui dois avant tout de n’avoir pas besoin d’une intention spéciale, mais seulement d’une certaine attente, pour entrer volontairement dans un monde de choses supérieures et délicates. C’est là que je me sens chez moi ; ma passion la plus intime s’y sent libérée. Que j’aie payé ce privilège presque avec ma vie, ce n’est là certes pas un marché de dupe.

Pour pouvoir comprendre quelque chose à mon Zarathoustra, il faut peut-être se trouver dans une condition analogue à la mienne, avec un pied au delà de la vie...

4.

Je n’ai jamais été habile dans l’art de prévenir quelqu’un