Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/38

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de nature de Pissarro, le Vétheuil ou le Champ de tulipes de Monet, les sujets d’une tendresse heureuse de Berthe Morizot et de miss Mary Gassat, les beaux « nus » de Renoir, les aspects d’un gris si doux, si argenté de Sisley, il suit toute l’é­volution de l’école, il embrasse ses tendances, il salue ses réali­sations. Sa fierté tout entière est de penser que, de ce petit café Guerbois, modeste autant qu’oublié, où se réunissaient après la guerre Manet et ses amis, est parti ce vaste et mer­ veilleux mouvement pictural qui a renouvelé l’art, imposé le règne éclatant du jour, traduit la nature en des pages vibran­tes et peint l’atmosphère avec ce sentiment de luminosité que n’avaient connu que Claude, Watteau, Turner et Corot dans le passé. Cette critique enthousiaste — qui n’est plus de la critique,mais une sorte de transposition lyrique tant elle est chaleureuse — a perçu nettement les nuances, les aspects, les contrastes de tant de talents rivaux. Mais ici, autant que dans ses romans, ses comédies, ses articles, ses discours, Georges Lecomte brise le cadre ; il ne s’astreint à aucune technique ; son goût de l’indépendance s’affirme à nouveau ; et la célébra­tion qu’il a faite de l’école en termes si conscients, dans l’Art impressionniste, ne l’empêche point de rendre à des artistes aussi divers d’aspect que Puvis de Chavannes, MM. Rodin et J.-L. Forain la part de justice et le sentiment d’hommage aux­quels ont droit ceux qui, ne s’inspirant que d’eux mêmes et de leur propre génie, ont conçu des œuvres et non des pastiches.

Toutefois, trois noms dominent apparemment plus chers en­ core que les autres, dans les études d’art que Georges Lecomte, depuis son Art impressionniste, a consacrées aux peintres, ceux d’Albert Besnard, d’Eugène Carrière et de J.-F. Raf­faëlli. En ceux-ci, la technique ne se limite pas autant que chez plusieurs des maîtres de l’impressionnisme à un but d’école ; elle a un but humain encore plus général, plus sublime à attein­dre. Et c’est par la flamme de l’imagination, par la tendresse du cœur, par le don de l’observation qu’Albert Besnard, Eugène Carrière et J.-F. Raffaëlli parviennent à ce but élevé. La critique de Lecomte — qui n’est ni la critique incisive de Huysmans, ni la critique fougueuse de Mirbeau, ni la stricte critique de Geffroy — est toute de qualité émotive, de compréhension claire et de passion aimante. Un homme comme Besnard, épris de la poésie grandiose des couleurs et des beaux arrangements, en