Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/39

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qui le métier n’a pas gâté le cœur et qui sait (voyez les pan­neaux de Berck, les fresques de l’École de Pharmacie) allier une sensibilité très vive au talent le plus prestigieux, séduit l’écrivain par l’idée qui commande à son œuvre autant que par les réalisations qu’il en a tentées. Des pages comme le Laboratoire (École de Pharmacie) ou la Vérité entraînant les sciences (Hôtel de Ville de Paris) ont, à ce double point de vue, une portée supérieure. Ils sont « d’exaltants poèmes de la science » et trahissent dans l’art de Besnard, à côté du fervent de la belle ligne apprise (grâce à son maître Brémond) chez Ingres, à côté du voluptueux de l’intimité des fleurs, des étof­fes et de la chair des femmes, un ardent visionnaire, un notateur élevé des découvertes humaines, de leur application et du retentissement prodigieux de leur écho dans le monde[1].

Le spectacle du travail, de l’attente et de l’humaine anxiété des êtres n’est pas moins fortifiant chez Eugène Carrière que chez Albert Besnard ; mais, tandis que — chez Besnard — la flamme du talent s’intensifie en de beaux incendies de palette, allume un ciel éclatant et de toutes parts répand ses feux torrentiels, chez Eugène Carrière elle se fait plus sourde, plus brumeuse à dessein et, dans sa chaude haleine, enferme un moment de l’éternel amour. Ce feu qui couve chez Carrière a moins d’éclat aveuglant que celui qui flamboie chez Besnard ; mais le rayonnement de sa chaleur sur les êtres ne s’en étend pas moins avec sa lumière, avec ses reflets et son enveloppement ouaté et doux, aux femmes et aux enfants attentifs dans l’om­bre. L’œuvre toute de tendresse en laquelle « Carrière résu­mera cette longue enquête passionnée, faite sous la lampe de famille, avec son grand cœur aussi bien qu’avec son observation aiguë », Georges Lecomte en a pénétré la poésie pro­fonde, et, dans de puissantes pages, remarquablement compris la portée. C’est Carrière, qui avait dit un jour, à propos de lui-même : « Tout est une confidence qui répond à mes aveux et mon travail est de foi et d’admiration[2]. » Aussi M. Lecomte a-t-il pu ajouter avec exactitude que la biographie d’un maître d’une bonté aussi infinie, d’une sollicitude aussi active et aussi poignante était toute « inscrite en chacune des œuvres » où il s’était approché des visages et des cœurs des êtres[3].

  1. Voir : la Gazette des Beaux Arts (1906) : Albert Besnard, par G. Lecomte.
  2. Voir : charles morice, Eugène Carrière (1906).
  3. Voir le volume : L’Art pour tous (1904) : Carrière, par G. Lecomte.