Aller au contenu

Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

énergie et une grande attention, à en saisir divers contours singuliers. À ce point de vue, des œuvres comme les Valets, les Cartons verts, le Veau d’or, les Hannetons de Paris, figu­rent des synthèses romanesques, fort bien ordonnées et con­duites avec fougue, de plusieurs catégories sociales dominantes. Le soin de l’étude, l’entraînement du récit, la véracité des faits, la nette vigueur de l’écriture concourent à donner une action intense à tous ces ouvrages, à leur communiquer un mouve­ment passionné, une chaleur vivante et à les présenter ainsi que des poèmes douloureux, caustiques ou frémissants de l’humanité qui s’agite et passe. « Les dissertations sentimen­tales ou philosophiques aussi bien que les prêches sociaux, a dit lui-même Georges Lecomte en préface au Veau d’or, sont à l’antipode du roman. » Le roman est un récit ; ce n’est pas un prêche. Et ceux qui goûtent les scènes de la Comédie hu­maine, la raillerie de Bouvard et Pécuchet, les légendes des dessins de Daumier, le sifflement des ïambes du poète répu­blicain et les rudes coups de pouce de Zola dans ses mâles peintures trouveront un amer plaisir à savourer ici les redou­tables pamphlets que Lecomte a écrits rien qu’en contemplant les médiocres, les vaniteux, les fous et les aigrefins qui s’agi­tent dans la politique, l’administration, le négoce et les salons riches de notre heureux temps.

Les Valets — peut-être à nos yeux le plus capital de ces ouvrages — est une mordante étude des clans politiciens, du monde électoral et parlementaire. Sans rappeler en rien le Candidat de Flaubert, la Journée parlementaire de Barrès, ce livre est antérieur à la Vie publique de Fabre, aux Parlementeurs de Léon Daudet et, mieux que ces ouvrages, sans esprit de parti ni haine, arrive à l’exactitude et à l’émotion. « Les politiciens, écrit Georges Lecomte en une page d’une constante vérité, rapetissent tout à la mesure de leur intérêt. C’est uniquement leurs déformations, leurs meurtrissures qui expliquent le déchet subi par les idées du xviiie siècle dans les essais de réalisations qu’on a tentés depuis cent ans. Entre Voltaire, Diderot, Rousseau, Montesquieu et nous, il y a eu malheureusement le nuisible travail des politicienspurs qui ont tout gâché, tout sali, et qui, même lorsque leurs intentions furent bonnes et leurs efforts efficaces, ont rétréci les plus vastes idées. » Les « grands fauves du pouvoir », ainsi que