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Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/40

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Il était bien difficile, après Huysmans et Mirbeau, de définir l’œuvre et le caractère du talent de Raffaëlli. Lecomte l’a osé pourtant[1]. Son essai à propos d’un maître si divers, d’un talent si complexe et si sobre dans son réalisme, est digne de former, avec ses deux études sur Besnard et Carrière, un triptyque d’une très complète harmonie. L’orientation du peintre des aspects parisiens, d’un art tout de pittoresque et de notations, vers un monde éclatant de jeunes filles et de sourires que M. Renoir, mais d’une autre manière, était le seul du groupe à connaître avant lui, a été décrite avec cette clairvoyance et cette affection qui font de M. Lecomte un écrivain d’art si exceptionnel et si savoureux.


IV

Mais, à force d’aimer l’art des peintres, de vibrer en lui et par lui, l’auteur des Valets, de l’Espoir et du Veau d’or est devenu peintre aussi. Comme les maîtres ses modèles, il acquit le don d’animer les foules en des masses générales et, sur des fonds sombres, de tracer d’incisives, de tendres ou hautaines silhouettes. Ses romans ne sont pas moins, à ce point de vue, des tableaux que sa critique. L’acuité d’une vision très moderne permet, dans ces tableaux puissamment brossés à petites et grandes louches, un réalisme où l’art n’est jamais exclu. Lecomte, comme Zola, comme Rosny, comme Mirbeau, frémit de son époque ; la société houleuse et disparate qui s’agite à chaque pas sous ses yeux n’a pas échappé à son examen. Les tares et les grandeurs, les vices et les vertus du vaste monde offert à son observation sont devenus pour lui d’ad­mirables prétextes à fresques colorées, à caricatures impitoya­bles, et — suivant les heures — à de paisibles grisailles, à de doux et légers pastels. S’il est vrai que l’histoire d’un temps est reflétée dans les livres des contemporains et que cette his­toire n’est possible — ainsi que le pensait Henry Beyle — que par l’accumulation des mille « petits faits vrais » observés sous nos yeux chaque jour, nul n’aura contribué, plus que Geor­ges Lecomte, à écrire dans ses livres l’histoire de nos âges.

Encore que ce romancier n’ait point, comme Balzac, comme Émile Zola, embrassé, dans une série compacte, un aspect à peu près total de l’époque, il s’est appliqué, avec une grande

  1. Dans la Grande Revue (no du 25 sept. 1907).