Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/54

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MERCVRE DE FRANCE— 16 x1-1908 treuse pour l’humanité tout entière. Même si, pour l’instant, une victoire navale de l’Empire Germanique semble canton­ née dans le domaine des invraisemblances, l ’hypothèse ne sau­ rait être écartée de prime abord. Or l’écrasement de l’Angle­ terre par l’Allemagne, — c’est l’hégémonie prussienne, à peine tempérée par les influences du Sud, triomphant sur notre con­ tinent et pesant sur tous les autres : c’ est l’ uniformité du des­ potisme militaire se substituant aux nécessaires et fécondes différences de culture et de pensée ; c’est l ’exaltation d’ une autorité brutale et insolente dont le peuple allemand lui- même ne saurait vouloir, parce qu’elle écraserait et réduirait en poussières les libertés péniblement acquises. La Grande- Bretagne est une pièce indispensable dans le grand mécanis­ me universel. Elle représente, au premier chef, l ’effort indivi­ dualiste, le souci des réalités économiques : elle a organis cette puissante poussée,cette giganlesquelransformation capi­ taliste qui, après avoir constitué un servage nouveau, prépare méthodiquement et par réaction la libération des foules ouvrières. Elle a, par l’ adaptation des machines, rempli toute seule unephased’histoire.Sa défaite pourrait,pour desdécades, ajourner la phase suivante. Et de même le désastre total, je ne dis point de l’Empire militaro-féodal d’Allemagne, mais du peuple allemand, serait un deuil pour les hommes, parce qu’ il livrerait les terres et les mers à l’exploitation britannique, et les ferait tributaires des marchands d’outre-Manche. Nous aurions l’ uniformité de Carlhage au Heu de l’uniformité de Rome : les grands trafi­ quants étoufferaient la pensée, au lieu des soldats bottés et casqués, — en attendant qu’ils levassent à leur tour de formi­ dables armées pour contenir et terroriser les contrées conquises ou dominées. Toutes les suprématies sont dangereuses et l’in­ déniable péril de cette crise serait précisément d’édifier une suprématie. Je voudrais examiner ici les causes qui peuvent provoquer une guerre anglo-allemande et, en sens inverse, les motifs qui pourraient l’écarter. C’ est par voie d ’énumération, d’ analyse, qu’ on aboutira à apprécier son degré de probabilité ou d’ ur- . gence. L ’expansion industrielle, quasi-égale et identique dans les deux pays en cause, constitue, de toute évidence, u ngraveélé-