Page:Mercure de France, t. 76, n° 274, 16 novembre 1908.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

270 MERCVRE DE FRANCE— i6-xi-igo8 de la littérature. Blanc de S1 Bonnet, un fort, celui-là, un connais­ seur du cœur humaiu, disait que, devant d’Aurevilly, les bras lui tombaient. Ses romans, faits pour les forts et pour ceux qui veulent devenir les chirurgiens sacrés de l’âme d’autrui et de la leur, font cent fois pâlir tout ce que Dickens, Walter Scott, Manzoni ont écrit de plus beau. Si l’esprit public chrétien était resté dans les hauteurs morales d’où il est tombé, d’Aurevilly nous paraîtrait adorable. J’ai mesuré souvent la valeur intellectuelle et morale des blâmeurset cette expé­ rience m’a apporté des révélations navrantes pour m’édifier parfois du jugementdes hommes. Si certains livres de cet incomparable écrivain, mal jugés, eussent recèlé le poison qu’on y a vu, je demande pourquoi moi et tant d’au­ tres qui les ont lus en sont sortis avec une âme plus robuste et plus râblée qu’ils n’y étaient entrés. Ceci est une irréfragable démonstra­ tion de la bonté radicale de l’œuvre. C’est cela même qui a converti le fameux Léon Bloy. Je sais que d’Aurevilly étourdit les faibles et vivifie les forts. Ah ! Seigneur évêque. Vous qui êtes des Forts, apprenez-nous à aimer votre force et la sienne ! anger. Les lignes qu’on vient de lire montrent les sentiments d’ ad­ miration de l ’abbé Anger pour son grand ami. Voici mainte­ nant quelques fragments où l’imitation de Barbey d’Aurevilly est visible. L ’ abbé venait de lire une intéressante brochure de M. Hélaine consacrée à d’Aurevilly et voulait en rendre compte à son tour. L ’article ne fut jamais publié, à peine fut-il ter­ miné. ... Dans cette rédaction, d’Aurevilly ne perd pas un millimètre de sa taille. C’est en cela que les miniaturistes, les réducteurs de gé­ nie ont le mystérieux talent de poser leur héros au bout d’une lon­ gue avenue sans que le rapetissement de la perspective atténue leurs amples dimensions. Ces condensations sont si bien faites que l ’on ne peut pas, sans en détruire à l’instant la beauté originale, ni les amplifier ni les sou­ mettre au martyre d’une maigre analyse. Et c’est là précisément ce qui m’embarrasse pour mon article qui, de sa nature, comme tout article, penche à l’analyse. Je voudrais faire de ces trente-six pages ce que l ’on fait d’une éponge, les serrer dans mes doigts et les jeter, sans abîmer leur pres­ tige, sans rien diminuer de leur substance, dans les quatre ou cinq colonnes de ce journal, à la place de ma prose !