Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/102

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V

Les jeunes Colliard n’avaient pas la même résignation. Ces enfants apportaient dans la vie un patrimoine d’espoirs neufs et les événements, déjà, commençaient à le dédorer. Ce n’était pas à la légère que le père Lecocq avait affirmé : « Les petits auront du fil à retordre. » Le fait est qu’ils avaient grand mal à joindre les deux bouts. Au milieu de l’année, Marguerite eut un enfant, une loque de chair fragile, vagissante, qu’elle nourrissait et traînait d’une chaise à l’autre, dans la boutique aux parapluies, sous le regard apitoyé des clients qui se faisaient de plus en plus rares. Les Colliard, eux, proclamaient bien haut qu’ils étaient victimes de la concurrence. Cet aveu faisait le désespoir de Mme Fridaine. Elle tançait vertement les nouveaux époux :

— Voulez-vous bien vous taire. A quoi cela sert-il de crier famine ? Il vaut mieux faire envie que pitié. Si l’on vous entendait, il y a trop de gens qui seraient heureux. Les jeunes Colliard pâtirent en silence. Ils ne vendaient guère. La maison Potte offrait un modèle à 7 fr. 95 « inusable et indéchirable » et la lutte, désormais, n’était plus possible. D’ailleurs, les jeunes gens étaient trop timides, trop apeurés. Les mêmes parapluies à tête de canard moisissaient à leur devanture.

— Leur meilleur client c’était Mme Sableux, qui venait les voir et les agaçait de sa pitié douce. Pour les aider, elle achetait de temps en temps une ombrelle, dont elle faisait don à quelque jeune fille. Mais cela ne suffisait pas… Un soir, à la fin du dîner, le fils Colliard reçut une lettre. Sur l’enveloppe, il reconnut avec surprise le cachet des « Armes ». Il tournait et retournait le pli dans sa main tremblante :

— Que peuvent-ils me vouloir ? murmura-t-il.

— Oh, dépêche-toi, disait Marguerite, dont les yeux étincelaient de curiosité.

La lettre était bien de Potte, en effet. Le directeur du magasin l’invitait à se présenter chez lui « un de ces prochains jours ». Il questionna sa femme.

— Que dois-je faire ?

Marguerite haussa les épaules.

— Vas-y toujours… Après tout, ils ne te mangeront pas.