Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/106

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Potte, Annette gardait le silence, détournait les yeux. Elle songeait précisément à son petit ami qui était premier commis au rayon des chemises…

Mme Fridaine, plus que jamais, feignait d’être indifférente à tout ce qui se passait dans « leur » magasin. Un soir, cependant, après une visite de Mme Sableux, elle bouscula le couvert plus que de coutume. Annette la regardait avec étonnement.

— Tu ne sais pas ce qu’ils ont trouvé ! dit-elle enfin.

— Non, grand’mère.

— Ils donnent des primes à présent. Une demi-douzaine de mouchoirs brodés pour un acheteur de vingt francs d’articles. Ah, ça doit être du joli, leurs mouchoirs brodés !

Cette idée, pourtant, lui était insupportable. Le menton en main, elle médita. Le lendemain, elle écrivit une lettre hâtive à M. Cheval et, huit jours plus tard, elle reçut une caisse d’où, soigneusement, elle déballa une cinquantaine de petits flacons qu’elle posa dans sa montre au milieu des chapeaux de roses et des cache-corsets. Une pancarte disait :

Tout acheteur de 5 francs aura droit à un flacon d’eau de Cologne extra.

La chose faite, grand’mère se frotta les mains :

— Hein, tu vois, petite, c’est la réponse du berger à la bergère.

Ce fut la dernière grande pensée de Mme Fridaine. Un soir, en revenant du mois de Marie, par une de ces nuits fraîches et pures tout embaumées de glycines et de syringas, elle s’appuya plus fortement sur le bras d’Annette :

— C’est drôle, petite, je ne sens plus mes jambes.

Pourtant elle se raidit jusqu’à la maison. Arrivée elle eut une faiblesse. L’angoisse montait à son front en petites perles grises. Elle remua la tête de gauche à droite. D’une main fiévreuse, elle tâtait ses jambes :

— Oh… oh… ma pauvre enfant, je ne vaux pas dix sous.

Elle se coucha le front brûlant et les dents claquantes. Annette se leva dans la nuit pour faire une tisane. Mais, le matin venu, il fallut appeler le docteur. Il ausculta la vieille femme et déclara qu’elle avait une fluxion de poitrine.

Mme Fridaine avait trop souffert pour lutter beaucoup. Le