Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/107

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second jour, comme Marguerite était venue, Annette interrogea :

— Veux-tu la voir ?

— Jamais de la vie, fit grand’mère en serrant les lèvres.

Mais vingt-quatre heures plus tard, elle la demanda. Il est vrai qu’elle avait perdu la tête. Ses souvenirs remontaient bien loin. Marguerite était une écolière au tablier de lustrine, aux doigts tachés d’encre. Ce fut la petite-fille d’autrefois qui reçut le baiser de l’aïeule.

— Tout est fini, dit Annette en portant une main à ses yeux.

La grand’mère était morte, en effet. On mit entre ses doigts usés un rameau de printemps. Mme Sableux, prévenue en hâte, vint s’agenouiller au chevet de sa vieille amie. Elle disait là, dans l’atmosphère de la mort, des chapelets émus et interminables.

— La pauvre femme, disait Mme Malézieux à Mme Ternaux, c’était une brave créature ! Mais, pour la petite, il vaut mieux que les choses s’arrangent de cette façon-là.

Annette, elle, pleurait sincèrement. Elle n’avait pas l’âge où l’esprit raisonne. Les conséquences de l’événement ne la touchaient guère. Elle était toute à sa douleur. Elle revoyait les beaux yeux et les cheveux d’argent de maman Fridaine. Le son de sa voix lui mouillait la gorge.

Tout Beaumont vint à l’enterrement. C’était un de ces jours clairs, merveilleux où le ciel vibre au-dessus des toits comme un étendard. Un froufrou de pigeons emplissait les rues. L’humble char avec ses quatre couronnes d’immortelles d’or oscillait lentement sur le pavé gris. On pénétra dans le cimetière, qui reposait au pied du coteau.

— Oui, disait Marguerite à M. Lecocq, je comprends que ma sœur ait un grand chagrin. Moi, ce n’est pas la même chose… Elle a été trop dure pour nous.

Elle souriait à son enfant qui courait dans l’herbe. Des moucherons formaient un dôme vibrant au-dessus des rosiers. La bière fut descendue, puis les assistants jetèrent l’eau bénite dans le trou béant. Annette était tombée à genoux. Elle sanglotait dans son mouchoir.

— Grand’mère… ma pauvre grand’mère !

Ce fut Mme Sableux qui lui prit le bras et la contraignit