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ECCE HOMO

partout l’occasion de puiser dans les eaux courantes (Nice, Turin, Sils) ; un petit verre d’eau me court après comme un chien. « In vino veritas » : il semble bien que pour la notion de « vérité » me voilà encore en désaccord avec tout le monde. Chez moi l’esprit plane sur les eaux.

Voici quelques indications encore au sujet de ma morale. Un repas substantiel est plus facile à digérer qu’un repas léger. Une des premières conditions pour une bonne digestion, c’est que l’estomac entre en activité dans sa totalité. Il faut connaître la dimension de son estomac. Pour la même raison, il faut éviter ces repas interminables que j’appellerai des sacrifices interrompus, les repas que l’on prend à table d’hôte. — Pas de collations entre les repas, point de café, le café assombrit. Le thé n’est salutaire que le matin. Il faut le prendre en petites quantités, mais très fort ; il devient préjudiciable et peut indisposer pour toute la journée s’il est d’un degré trop faible. Sur ce chapitre chacun a sa propre mesure qui oscille parfois entre les limites les plus étroites et les plus délicates. Dans un climat très agaçant, il faut déconseiller le thé pris à jeun : il faut commencer une heure auparavant avec une tasse de cacao épais et déshuilé.

Être assis le moins possible ; ne pas ajouter foi à une idée qui ne serait venue en plein air, alors que l’on se meut libre ment. Il faut que les muscles eux aussi célèbrent une fête. Tous les préjugés viennent des intestins. Le cul de plomb — je l’ai déjà dit — c’est le véritable péché contre le saint-esprit.

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La question du lieu et du climat est étroitement liée à la question de la nutrition. Personne n’est libre de vivre indifféremment n’importe où ; celui qui a de grands problèmes à résoudre, des problèmes qui mettent à contribution toute sa vigueur, n’a même qu’un choix très restreint à faire. L’influence du climat sur l’assimilation et la désassimilation, leur ralentissement et leur accélération, va si loin qu’une erreur de lieu ou de climat peut non seulement éloigner quelqu’un de sa tâche, mais encore lui rendre celle-ci parfaitement étrangère. Elle reste hors de sa vue. La vigueur animale n’a jamais été assez grande chez lui, pour qu’il parvienne à ce sen-