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MERCVRE DE FRANCE — 1-XII-1908

timent de liberté qui envahit l’esprit, où quelqu’un peut dire : « Moi seul je puis faire cela »…

Une petite paresse des intestins qui s’est transformée en mauvaise habitude suffit amplement pour faire d’un génie quelque chose de médiocre, quelque chose d’« allemand ». Le climat de l’Allemagne est suffisant à lui seul pour décourager de fortes entrailles et même celles qui sont portées à l’héroïsme. L’allure de l’assimilation est en rapport direct avec la mobilité ou la paralysie des organes de l’esprit. L’« esprit » lui-même n’est, en fin de compte, qu’une forme dans l’évolution de la matière. Groupez les lieux où il y eut de tous temps des hommes spirituels, où l’esprit, le raffinement, la malice faisaient partie du bonheur ; où le génie se sentait presque nécessairement chez lui ; ils jouissent tous d’un air merveilleusement sec. Paris, la Provence, Florence, Jérusalem, Athènes — ces noms démontrent quelque chose. Le génie est conditionné par un air sec, par un ciel clair, — c’est-à-dire par une rapide assimilation et désassimilation, par la possibilité de se procurer sans cesse de grandes et même d’énormes quantités de force.

J’ai devant les yeux l’exemple d’un esprit remarquable et de dispositions libres, qui, parce qu’il manquait de discernement dans les questions de climat, devint étroit, rampant, spécialiste et grognon. Et moi-même j’aurais, en fin de compte, pu illustrer ce cas, en admettant que la maladie ne m’eût pas fait entendre raison, ne m’eût pas forcé à réfléchir sur la raison dans la réalité. Maintenant que, par suite d’une longue expérience, je déduis les effets d’origine climatérique et météorologique sur moi-même, comme sur un instrument subtil et éprouvé, maintenant qu’un court voyage, par exemple de Turin à Milan, me suffit à contrôler physiologiquement, sur moi-même, le degré d’humidité de l’air, je songe avec terreur à ce fait inquiétant que ma vie, jusqu’à ces dix dernières années (les années qui ont mis mes jours en danger), s’est toujours déroulée en des lieux inappropriés et qui eussent dû m’être littéralement interdits. Nauembourg, l’École de Pforta, la Thuringe en général, Leipzig, Bâle, Venise — autant de lieux de malheur pour ma physiologie particulière. Si, d’une façon générale, de toute mon enfance et de toute ma jeunesse, je ne possède pas un seul souvenir agréable, ce serait une