Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/55

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il y a cent ans, les oscillations électriques, et qui répondra beaucoup mieux à l’objet proposé. Je crois que c’est cet objet qu’on se proposera, non un autre : le progrès se fera vers une détermination toujours plus précise des hauteurs et des sonorités.

§

Tout se tient dans une société humaine, et l’on peut, par une sorte de méthode inverse, induire, d’après l’état de la musique, l’état des mœurs. A quels résultats serions-nous amenés ainsi ? Il n’y aura, dans un avenir prochain, plus de chef d’orchestre ; il n’y aura donc pas de chef d’État non plus : chacun sera le collaborateur libre et conscient d’une œuvre commune ; au régime politique aura succédé un régime social. Mais, plus tard, par le progrès de la machine, ce concours même deviendra inutile ; il n’y aura plus de musiciens d’orchestre, donc plus d’ouvriers. Pareillement, il n’y aura plus d’intermédiaire entre le producteur et le consommateur : plus de commerce. Tous les échanges seront libres et se feront sans aucun bénéfice de part ni d’autre. Non seulement aucune discipline ne sera nécessaire, mais pas même aucune entente préalable, aucun contrat. L’intérêt de chacun sera de donner ce qu’il a, pour recevoir ce qu’il n’a pas : tout travail d’ailleurs sera intellectuel, l’exercice physique n’étant plus qu’un plaisir. À un régime social en aura succédé un autre, que j’appellerai anarchique, en priant de prendre ce mot dans son véritable sens : absence de gouvernement.

La sensation sera donnée, par la musique comme par les autres arts, telle quelle, et non pas transposée en formules ; donc les hommes ne songeront pas davantage à l’envelopper de raisonnements, ni à lui attribuer un sens mystique. Il ne sera ni louable, ni répréhensible de sentir, mais seulement agréable ou douloureux, utile ou funeste. En revanche, la vie, comme l’œuvre, saura se construire sur un plan autrement vaste et généreux, parce qu’elle ne sera pas, à tout instant, troublée de scrupules. Enfin, un art moins conventionnel sera plus généralement compris, et on pourrait dire que la musique sera alors, et seulement alors, une langue internationale ; mais ce mot n’aura pas de sens, car, depuis longtemps, il n’y aura plus de nations. On m’objectera sans doute qu’en tout ce qui précède je n’ai considéré que l’Europe : mais il est certain