Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/99

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tes roses et, tout de suite, elle parlait vite pour mieux jouer l’indifférence.

Un jour, le Bélier d’Or reçut la visite des parents Colliard. Ils demandaient pour leur fils la main de Marguerite. C’était là une chose prévue. On décida que le mariage serait célébré vers la fin de septembre. Les Colliard prirent à cette époque une grave décision. Ils cédèrent à leur fils le fonds de commerce et se retirèrent à la campagne dans une maisonnette qu’ils avaient achetée.

— Voilà des gens sensés, proclamait M. Lecocq. Ils n’ont connu de leur métier que les agréments. Les petits auront du fil à retordre.

— Il en est de même pour tous, affirma Mme Fridaine.

M. Lecocq rapetissa ses yeux.

— Oh, pour vous, ma bonne amie, je suis bien tranquille. Dieu merci, vous avez de belles petites rentes. Dès qu’Annette sera mariée, vous irez planter vos choux.

Mme Fridaine toucha ses lunettes :

— Tiens, vous avez une façon à vous d’arranger les choses. Il est vrai que j’avais oublié de vous consulter. Eh bien, détrompez-vous, mon cher. Qu’Annette se marie ou non, je garde la mercerie.

— Jusqu’à la fin ?

— Jusqu’à ma première infirmité.

— Oh… Ce ne sera pas de sitôt.

— Merci bien du compliment.

Ils rirent ensemble avec une malice de vieilles gens désabusés. Bien qu’elle le prît de haut avec M. Lecocq, grand’mère Fridaine, néanmoins, acceptait son genre d’esprit ; c’était, depuis son mari, le seul homme dont la familiarité ne lui déplût pas. Elle lui disait avec un sourire qu’elle ne le chassait point, car elle avait besoin d’être mortifiée.

Grand’mère fit bonne figure à la noce. Toutefois, pour ne pas mécontenter le client, le jour même, au désespoir des petites, elle ouvrit la mercerie de huit à dix heures. Était-elle émue ? On l’ignorait, tant elle prenait soin de ne pas le paraître. Elle avait fait rafistoler, pour la circonstance, une vieille robe noire avec des pampilles de jais et elle avait l’air bien surprise d’être dehors, de voir le ciel pur, l’écume des nuages, le tourbillon des amis envahissant le porche. De la cérémonie