Page:Mercure de France, t. 76, n° 275, 1er décembre 1908.djvu/100

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elle retint peu de chose. Un détail suffisait à l’occuper. Mme Ternaux avait fait craquer une paire de gants neufs. Cet événement prenait dans son esprit une importance exceptionnelle. C’est que, l’avant-veille, Mme Ternaux avait confié à son amie son intention d’acheter, pour faire une expérience, une paire de gants à la maison Potte. Et c’étaient ces gants-là qui avaient craqué ! Mme Fridaine était rayonnante. Elle disait à tous :

— Vous ne savez pas, les gants de Mme Ternaux — eh bien ! ils en venaient, ils en venaient……

IV

L’anecdote fit son tour de ville. Elle n’eut pas, toutefois, sur l’esprit public les effets que Mme Fridaine en pouvait attendre. De toute l’affaire on retint seulement que Mme Ternaux était allée aux « Armes de Beaumont » et qu’elle y avait fait une acquisition. On ne chercha pas à ce geste une raison profonde. Il suffisait qu’elle l’eût accompli.

Le plus curieux, c’est que le fils Potte eut vent de l’histoire et qu’en homme d’esprit il fit porter à l’adresse de Mme Ternaux une nouvelle paire de gants et un mot d’excuse. Mme Ternaux fut interdite. À la longue, pourtant, elle réfléchit qu’elle aurait mauvaise grâce à s’offusquer d’un tel procédé. La secrète indulgence qu’elle eut, à partir de ce jour, pour les gens du magasin ne tarda pas à se manifester d’une façon plus effective. Mme Ternaux fut une cliente, une cliente honteuse, timorée, mais une cliente quand même. Et elle ne pouvait s’empêcher de dire « que c’était bien commode, qu’on trouvait là tout ce qu’on voulait, que la marchandise était toujours fraîche parce qu’il y avait beaucoup de débit ». Ces paroles frappèrent les oreilles de Mme Sableux. Elle les porta, chaudes encore, à la boutique de Mme Fridaine.

— Hein, cette girouette !… Qui donc aurait cru ?

Mme Fridaine était une femme d’expérience. Elle eut son coup de menton familier.

— Ça ne m’étonne pas, ma chère amie. Je n’ai jamais eu grande confiance en Mme Ternaux. Elle avait une tante qui était faible d’esprit.

Le certain, c’est qu’en dépit de Mme Sableux et de Mme Fridaine un mouvement nouveau commençait à se dessiner. Voici qu’après avoir détracté le magasin et voué à la ruine ce cube