MERCVRE DE FRANCE—i-1-1909qui évoque des états d’âme anciens, plus que des conclusions histo¬ riques. L’une se borne continuellement à chanter là « gloire » d’une collectivité en face d’une autre, et le pathétique de ce contraste est d’une écrasante banalité. L’autre chante l’amour et chante la haine, en eux-mêmes, dans leur rayonnante fécondité, source de grand ly¬ risme. Tandis que Garducci, tout gonflé par le « pathos historique » de Hugo, fut et demeure lourdement pathétique, M. Pascoli recher¬ che d’autres rythmes pour déplus subtiles évocations,et chante l’âme ancienne, concentrant son inspiration dans le grand point d’orgue de la vie médiévale italienne : la fin d’un Empire.Puisque j’ai nommé Carducci, j’insiste sur la comparaison. Car- ducci fut presque toujours plus historien que poète. N’est-ce pas de lui ce vers que tout poète doit réprouver énergiquement pour la pro¬ fession de foi, vraiment « professorale » et fort peu « poétique », qu’il annonce :Qui cherche les papillons sous Tare de Titus ?Tout poète peut chercher les oc papillons» dans les pierres animées par la palpitation énorme dePhistoire ; Carducci, historien, professeur d’université, n’y cherchait, lui, qu’une gloire, une date et un nom,un total de signification immédiate et pratique. Le mal que Carducci a fait, ou fait, aux jeunes générations de la péninsule est grave. Il alourdit sur les jeunes poitrines tout le poids de Thistoire et de l’his¬ toire adaptée à un parti pris d’exaltation, toute gonflée par un impla¬ cable pathos, dont la culture italienne, restreinte aux faits et gestes de la péninsule, interprétés de façon à satisfaire les plus aigus chau¬ vinismes, esthétiquement se ressent et souffre* Et comme Carducci se révéla aussi, sans nul doute, et à plusieurs reprises, grand poète, son influence n’en est que plus redoutable.La gloire italienne est en effet apprise dans les écoles, avec les dogmes inflexibles qui affirment l’éternité de Rome comme capitale du monde, la supériorité à nulle autre comparable de Part italien, voire même de Parchitecture gothique florentine ou de la musique moderne,.. M. Gabriel d’Anuunzio subit aussi, et à son tour imposa, l’exaltation de PUrbs, du Mare Nostrum, etc. Mais le pathos de M.d’Ânnunzto étant surtout et particulièrement « esthétique », lerayon- nement de son art fut certes plus beau et plus fécond,en un mot plus lyrique que celui de son maître.Cependant, l’œuvre de Carducci a une signification historique qu’il ne faut point méconnaître. En renouvelant la langue, en cher¬ chant d’autres rythmes, des rythmes latins, à la poésie, reprenant en cela des tentatives qui ont leur origine au xv« siècle,avecLéon Battista Alberti, en redonnant au poète le goût du classicisme originaire, Car¬ ducci servait à affermir le sentiment national nouveau-né de Pltalie
Page:Mercure de France, t. 77, n° 277, 1er janvier 1909.djvu/176
Apparence