174MERCVRE DE FRANCE—1-1-1909res, ainsi qu’ils l’avaient été par le culte de ,tout l’Orient avant ■même d’être divinisés devant le Nil. Puis le poète fait défiler devant l’esprit du prisonnier les images de l’Empire dompté, les images du •souvenir glorieux et des pressentiments douloureux, et l’image de l’Empereur, son père, et du Pape vainqueur, et de Home triomphante tandis queles bœufs courbent la tête aux cris du bouvier, et tirent, et le Carroccio va : le mât sublime est secoué, secoué, et le drapeau se dénoue dans le ciel.Toutes les cloches sonnent dans le ciel, sur le Carroccio. C’est la ville qui part : elle part en levant un chant lent, aériea, avec touies ses tours.C’est dans la première chanson, la Canzone del Carroccio. Dans la Canzone dell'Olifante,l’ordonnance du poème change, la poésie devient plus subtile, l’évocation atteint un degré de puissance que M. Pascoli n’avait peut-être pas rêvé. Car ici c’est vraiment l’exal¬ tation la plus profonde de la race méditerranéenne, qu’on ait conçue jusqu'à nous. Le poète, qui a choisi un moment caractéristique de la vie de son pays, une conclusion qui est un commencement : la fin de la lutte entre l’Empire et la Papauté, reprend la première épopée de la lutte chrétienne et en fond ensemble les esprits et les formes. Le roi Enzo prisonnier entend sur la place un jongleur qui chante la chanson de 'Roland! Le premier chant du poème chrétien, où l’Em- pereur à la barbe fleurie menait la première grande lutte de la nou¬ velle Pci, se complique ici d’un élément historique dont le symbole est grand : la lutte de domination,, la guerre inexorable du vicaire de Dieu pour la domination de la terre.Et les laisses de Roland, composées plutôt eu strophes, mais à l’instar des anciennes, non rimées et assonancées, se complètent et se transforment dans le cœur triste du roi, et s’adaptent étrangement aux événements qu’il a vécus ou qu’il pressent, choisissant l'admi¬ rable lyrisme de la « matière de France », du cycle carlovingien, plutôt que celui de « Bretaigne ou de Rome la (Graut », le poète a-t- il voulu montrer l’unité absolue de la race qui étend la puissance de la Méditerranée à .la Manche et à l’Océan? Il est certain que peu de poèmes, et nou seulement modernes, sont plus émouvants que celui- ici, où deux aspects symboliques et synthétiques de l’âme occiden¬ tale.sont mis en présence, et sont intimement fondus, et presque con¬ fondus, dans des rythmes nostalgiques et évocateurs. Roland,le neveu et Enzo,le fils évoquent dans leur malheur, dont le lyrisme de la race s’émeut, la même vision, celle vers laquelle tend toute notre volonté de conquête : l’Empereur. Et Charlemagne sourit à la mélancolie du
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