À ce moment-là, mon instinct s’est décidé implacablement contre l’habitude que j’avais prise de céder, de suivre, de me tromper sur moi-même. N’importe quel genre de vie, les conditions les plus défavorables, la maladie, la pauvreté — tout cela me semblait préférable à ce « désintéressement » indigne, où j’étais tombé d’abord par ignorance, par excès de jeunesse, où je m’étais accroché ensuite par indolence, par je ne sais quel « sentiment du devoir ».
C’est alors que me vint en aide, d’une façon que je ne sau rais assez admirer, et précisément au bon moment, ce mauvais héritage que je tiens de mon père et qui est en somme une prédisposition à mourir jeune. La maladie me dégagea lentement de mon milieu ; elle m’épargna toute rupture, toute démarche violente et scabreuse. À ce moment je n’ai perdu aucun des témoignages de bienveillance dont on m’entourait, j’en ai même gagné de nouveaux. La maladie me conféra en outre le droit de changer complètement toutes mes habitudes ; elle me permit, elle m’ordonna de me livrer à l’oubli ; elle me fit hommage de l’obligation de demeurer couché, de rester oisif, d’attendre, de prendre patience... Mais c’est là précisément ce qui s’appelle penser !... Mes yeux seuls suffirent à mettre fin à toute préoccupation livresque, à toute philologie. Je fus délivré des « livres » ; pendant des années je ne lus plus rien et ce fut le plus grand bienfait que je me sois jamais accordé !
Ce « moi » intérieur, ce moi en quelque sorte enfoui et rendu silencieux, à force d’entendre sans cesse un autre moi (— et lire n’est pas autre chose), ce moi s’éveilla lentement,
- ↑ Voy. Mercure de France, 274, 275 et 276.