Ma tâche de préparer à l’humanité un instant de suprême retour sur elle-même, un grand Midi, où elle pourrait regarder en arrière et regarder dans le lointain, où elle se soustrairait à la domination du hasard et des prêtres et où elle se poserait, pour la première fois, dans son ensemble, la question du pourquoi et du comment, — cette tâche découle nécessaire ment de la conviction que l’humanité ne suit pas d’elle-même le droit chemin, qu’elle n’est nullement gouvernée par une providence divine, que, bien au contraire, sous ses conceptions des valeurs les plus saintes, se cachait d’une façon insidieuse l’instinct de la négation, l’instinct de la corruption, l’instinct de décadence. Le problème de l’origine des valeurs morales est pour moi une question de tout premier ordre, parce que l’avenir de l’humanité en dépend. L’obligation de croire que toutes choses se trouvent dans les meilleures mains, qu’un seul livre, la bible, rassure définitivement au sujet du gouvernement divin et de la sagesse dans les destinées de l’humanité, si on la transcrit dans la réalité, équivaut à la volonté d’étouffer la vérité qui démontrerait exactement le contraire, à savoir cette conviction lamentable que jusqu’à présent l’humanité aëtéen de mauvaises mains, qu’elle a été gouvernée par les déshérités qu’anime la ruse et la vengeance, par ceux que l’on appelle les « saints », ces calomniateurs du monde qui souillent la race humaine.
La preuve décisive, d’où il ressort que le prêtre (— sans en excepter les prêtres masqués, les philosophes) est devenu le maître non seulement dans les limites d’une communauté religieuse déterminée, mais d’une façon générale, que la morale de décadence, la volonté de la fin, passe pour la morale par excellence, c’est la valeur absolue dont on investit partout les actes non-égoïstes et l’inimitié dont on poursuit tout ce qui est égoïste. Celui qui n’est pas d’accord avec moi sur ce point, je le considère comme infecté… Mais c’est le monde entier qui n’est pas d’accord avec moi… Pour un physiologiste une telle contradiction de valeurs ne laisse plus aucun doute. Quand, dans l’ensemble de l’organisme le moindre organe se relâche, fût-ce même en une très petite mesure, et cesse de faire valoir avec une sûreté parfaite sa conserva-