rie, pas même de feu de tirailleurs. Si l’effet de ce livre est
négatif, ses procédés ne le sont en aucune façon, et de ces
procédés l’effet se dégage comme un résultat logique, mais non
pas avec la logique brutale d’un coup de canon. On sort de la
lecture de ce livre avec une défiance ombrageuse à l’endroit
de tout ce qu’on honorait et même de tout ce que l’on adorait
jusqu’à présent sous le nom de morale ; et pourtant on ne
trouve dans le livre tout entier ni une négation, ni une
attaque, ni une méchanceté, — bien au contraire, il s’étend au
soleil, lisse et heureux, tel un animal marin qui prend un bain
de soleil parmi les récifs. Aussi bien étais-je moi-même cet
animal marin : presque chaque phrase de ce livre a été pensée
et comme capturée dans les mille recoins de ce chaos de
ro
chers qui avoisine Gênes, et où je vivais tout seul, échangeant
des secrets avec la mer. Maintenant encore, si par aventure je
reprends contact avec ce livre, chaque phrase presque est pour
moi comme un bout de fil à l’aide duquel je ramène des
profondeurs quelque merveille incomparable ; sur sa peau courent
partout des frissons délicats de souvenir.
L’art qui distingue ce livre n’est point à dédaigner, il sait surprendre les choses qui passent légèrement et sans bruit, des instants que je compare à de divins lézards, et les fixer un instant, — non pas avec la cruauté de ce jeune dieu grec qui embrochait simplement les pauvres petits lézards, — mais pourtant à l’aide d’une pointe acérée — la plume… « Il y a tant d’aurores qui n’ont pas encore lui », cette inscription hindoue se dresse au seuil de ce livré. Où l’auteur cherche-t-il cette aube nouvelle, cette rougeur délicate, invisible encore, qui annonce un jour nouveau, — oh ! toute une série, tout un monde de jours nouveaux ? Dans une transmutation de toutes les valeurs, par quoi l’homme s’affranchira de toutes les valeurs morales reconnues jusqu’alors, dira « oui » et osera croire à tout ce qui, jusqu’à présent, fut interdit, méprisé, maudit. Ce livre, tout d’affirmation, répand sa lumière, son amour, sa tendresse, sur toutes sortes de choses mauvaises, et il leur restitue leur « âme », la bonne conscience, leur droit souverain, supérieur à l’existence. La morale n’est pas atta quée, elle ne compte plus… Ce livre se termine par un : « Ou bien ! », — c’est le seul livre au monde qui finisse par : « Ou bien ! »…