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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/15

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MERCVRE DE FRANCE

créature ! Pense, et je suis ! Si tu doutes de mon être, je m' anéantis ! Je te s is ce que tu es à Dieu ! Ce n’est qu’en toi que je puis être vivante ou inanimée ! Quoi ! tu frémis ? Est-ce de ton pouvoir ou de mes larmes ? Tu charges de chaînes l’idéal et l’esclave t’intimide ! Ose m’imaginer, ou je suis perdue ! Si tu ne plains, toi aussi, que d’un sourire, je suis perdue !

« Certes, tu dois me dédaigner : je ne suis pas de celles qui trahissent ! Ma chair éthérée, mes sens divins, mes paroles idéales, où toutes les harmonies sont captives, les trésors de vertige, de mystère et d’oubli, qui s’émanent de ma vision, ma constance profonde, mon impressionnabilité, certes, ce sont là des attraits de peu de valeur près de ceux d’une femme ! Cependant, si ce sont d’élégantes et perfides frivolités qui té séduisent, si tu me crois grave èt dangereuse, si tu regrettes en moi l’absence d’une femme amusante et spirituelle, oh ! c’est bien facile ! Ma nature est multiple et je puis devenir toutes les femmes. Si tu me préfères mon modèle, l’aimable miss Evelyn, appuie seulement sur cette bague, pas cellelà, l’opale de mon petit doigt, et Hadaly va s’évanouir, en devenant Vautre I » Lord Lyonnel, saisi par une curiosité infernale, allait presser la bague transfiguratrice, lorsqu’il entendit Hadaly lui dire à l’oreille d’une voix sourde, suppliante :

«  Oh ! pour l’amour du ciel ! «  Sois exaucée, Hadaly, dit lord Lyonnel, l’être de celles dont tu parles ne vaut pas la peine d’être évoqué. Reste seule. « Oh ! c’est bien vrai, ce que tu dis ? C’est vrai que tu rracheras de mes poumons d’or le ruban de métal où la valeur de cette âme visible est ajoutée à moi ? » Stupéfait de cette phrase, qui lui rappelait la soi-disant réalité, lord Lyonnel demeura d’abord sans répondre ; puis, livide, il dit : « Je le jure, Hadaly ! »