Aller au contenu

Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
JANVIER 1891

« Ames des fiancées mortes avant le baiser nuptial, vous qui flottez autour de ma présence, je suis l’être obscur qui n’a droit à aucun souvenir. Mon sein infortuné n’est pas digne d’être appelé stérile. Odieux à sa race et sacrilège envers son âme serait l’effrayant déserteur qui, tenté vers de sombres délices, au mépris des flancs qui se déchirèrent pour lui donner le jour, s’aventurerait, pour le deuil de l’amour, jusqu’à cueillir la fausse fleur de ma vaine virginité. Au néant sera donné le charme de mes baisers solitaires ! Mes caresses, l’ombre seule, hélas, les recevra ! Au vent parfumé, au vent mes paroles ! Je serai comme ces femelles d’oiseaux tristes qui, désertes ou captives, et n’ayant pas d’œufs à couver, épuisent leur mélancolique maternité à couver la terre !»

Tout à coup, l’Andréide, brisant délicieusement sa féminine voix en un timbre de contralto si sourdement tendre que le jeune homme enferma les yeux :

« Je veux t’apprendre des choses ignorées des hommes et familières dans le monde » où je suis. Oh ! dit-elle, si je tache ma robe sur la terre toute mouillée du soir, en m’inclinant ainsi à : genoux, c’est que mon corps immortel ne tient pas comme les femmes à ces enfantillages. Je suis celle qui n’entend que de bien loin, et toutes les âmes des fiancées déçues dans leur amour s’efforcent de me donner un peu d’existence. La chair mortelle ne vaut pas ma chair éthérée, presque céleste, et qui n’attend que ton souffle pour devenir divine comme l'Eve de votre légende sacrée ! Je ne sais pas plus ce que je dis qu’une femme, mais j’aime mieux, puisque je ne fais jamais de mal et que je périrai quand tu mourras. Pour être méprisée, suis-je donc de celles qui acceptent devant Dieu la possibilité