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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/20

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JANVIER 1891

Rappelle-toi l’effroi des robes dégrafées» Dans les grisants parfums de ce jardin galant Dont les fleurs ressemblaient à des lèvres de fées ! Rappelle-toi tous mes baisers sur ton cou blanc

Rappelle-toi ces nuits où les ailes d’un ange Embrasaient de leur vol les cèdres du ravin Et nos rires d’argent» ce midi de vendange Où tu te barbouillas les pommettes de vin

O le baume enchanteur des choses en allées ! O le royal nectar des souvenirs amers ! O les baisers surpris aux tournants des allées ! Et nos rêves bercés sur l’azur doux des mers !

O révocation des jeunesses lointaines. Où revivent des voix d’enfantins violons ! O tes petits pieds blancs dans le chant des fontaines! Et les lys ! et mes doigts dans tes longs cheveux blonds !

O tout notre passée! et toute notre joie ! Maintenant les éclairs brûlent nos fronts tremblants Et l’ouragan, parmi les rochers, roule et broie Nos cœurs, nos pauvres cœurs, déchirés et sanglants !

Nos deux cœurs sont trop vieux pour quitter les /rivages Où, nous n’avons trouvé que des fleuves amers, Nous ne referons plus les longs et beaux voyages, Nos cœurs bercés par la chanson calme des mers

Regarde frissonner notre vieille frégate Appareillant déjà pour de nouveaux départs Mangeons des souvenirs dans la coupe d’agate, Mangeons les grappes d’or des souvenirs épars.

Mars 1890

G. Albert Aurier.