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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/28

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JANVIER 1891

Je voudrais tous les cœurs avec toutes les âmes ! Je voudrais, chasseresse aux féroces ardeurs, Entasser devant moi des cœurs, encor des cœurs Et je distribuerais mon butin rouge aux femmes.

Je traîne, magnifique, un lourd manteau d’ennui Où s’étouffe le bruit des sanglots et des râles. Les flammes qu’en passant j’allume aux jeux des mâles Sont dès torches, de fête en mon cœur plein de nuit.

La haine me plaît mieux, étant moins puérile. Mère, épouse, non pas: ni femelle vraiment ! Je veux que mon corps vierge, ainsi qu’un diamant, A jamais comme lui soit splendide et stérile.

Mon orgueil est ma vie, et mon royal trésor ; Et, jusque sur le marbre où je m’étendrai, froide, Je veux garder, farouche, aux lis du linceul roide Une bouche scellée, et qui dit non encor.


Albert SAMAIN.