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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/27

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MERCVRE DE FRANCE

ORGUEIL

J’ai secoué du rêve avec ma chevelure. Aux foules où j’allais un long frisson vivant. Me suivait comme un bruit de feuilles dans le vent; Et ma beauté lançait des feux comme une armure.

Au large, devant moi, les cœurs fumaient d’amour : Calme, je traversais les désirs et les fièvres ; Tout drame ou comédie avait lieu, sur mes lèvres ; Mon orgueil éternel demeurait sur la tour.

Du remords imbécile et lâche je n’ai cure, Et n’ai cure non plus des bâtardes pitiés. Les larmes et le sang, je m’y lave les pieds ! Et je passe fatale ainsi que la Nature.

Je suis sans défaillance, et n’ai point d’abandons. Ma chair n’est point esclave au vieux marché des villes ; Et l'homme, qui fait peur aux amantes serviles, Sent que son maître, est là quand nous nous regardons.

J’ai des jardins profonds dans mes yeux d’émeraude, Des labyrinthes fous, dont on ne revient point. De qui me croit tout près, je suis toujours si loin, Et qui m’a possédée a possédé la Fraude.

Mes sens, ce sont des chiens qu’au doigt je fais coucher. Je les dresse à forcer, la proie en ses asiles. Puis, l’ayant apportée, ils attendent, dociles, Que mes yeux souverains leur disent d’y toucher.