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Page:Mercure de France - 1891 - Tome 2.djvu/37

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MERCVRE DE FRANCE

entrevus, volutes bleues de cigarettes blondes, roses décloses au bord des chemins, baisers d’amantes, ivresses partagées. Sont-ce pas eux qui s’envolèrent tantôt, devant l’Heure implacable, fuyant sans trêve dans le Présent triste, frêles illusions si vite évanouies ? Cette pâquerette ! ô l’ironie poignante, contenue en cette fleur de printemps, née là, un jour d’hiver : cette pâquerette mignonne qui s’entrouvre ! Oui, ce fut une marguerite toute semblable, que j’interrogeais avec Elle. Etait-ce hier ? Non ; il y a plus Longtemps que cela ; et je me souviens. Maintenant, elle est morte !

Ah, cette petite fleurette des champs, comme elle paraît innocente, virginale ! Elle aussi, me semblait plus pure même qu’un lys. Maintenant, elle est mortel Ses yeux, ses yeux de pervenche ils ne se rouvriront plus, et plus jamais, non, plus jamais, elle ne boira mon âme, de ses lèvres aux mystérieuses caresses, de ses lèvres rouges, de ses lèvres chaudes.

Comme elles doivent être froides, à présent ! Mais pourquoi revient-elle ainsi, en mon âme, moi qui croyais avoir pu oublier. Oui, je la revois, la frêle et charmante créature, qui n’est plus Un soir, où les étoiles riaient dans les cieux assombris, un soir tiède de printemps, je l’avais rencontrée cette marguerite qui s’effeuille en mes doigts, étrangement ! Des parfums pâles montaient des fleurs endormies. Qu’elle était belle ! Un peu Un peu, beaucoup!

En effeuillant la marguerite, elle riait, d’un rire franc qui la secouait toute, et découvrait ses dents, ses adorables petites dents, blanches ainsi que de blancs pétales de camélia. Sa silhouette cambrée, se profilant dans les demi-teintes d’un dessous de bois, où l’épaisse torsade des cheveux blonds brillait seule, nimbe d’or, est demeurée assez précise en ma misérable cervelle pour la troubler encore. Quoique très enfant, elle avait, en même temps que ces gentillesses mièvres de gamine, un fonds de délicatesse, plus sérieuse, de femme. Passionnément passionnément Certes, ce fut passionnément que je l’adorai. Avoirparfois, en son visage à l’ovale délicat de vierge, luire un