Page:Mercure de France - 1896 - Tome 17.djvu/215

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Falk, ému

— Non ne riez pas, Svanhild ; derrière votre

moquerie brillent des larmes, — oh je le vois bien. Et je vois plus encore ; si vous êtes pétrie d’une argile dont la forme est inconnue, la foule des artistes par milliers viendra, et tous vous gâteront pour vous modeler grossièrement, et sottement. L’œuvre du Seigneur est plagiée par le monde, qui la recrée à sa façon ; ou change, ajoute, ôte, transforme. Et quand ils vous mettent ainsi transformée sur le piédestal, ils s’écrient, joyeux : La voilà normale ! Voyez quelle sérénité plastique ; froide comme marbre ! Éclairée par la lumiere de la lampe, elle convient parfaitement à l’ensemble ! (Il saisit sa main avec douleur). Mais s’il faut que votre esprit meure, vivez auparavant ! Soyez à moi dans la nature printanière de Dieu ; vous viendrez assez tôt dans la triste cage. La dame y prospère, mais la femme y languit, et c’est elle seule que j’aime en vous. Que d’autres vous prennent dans la nouvelle maison ; mais ici, ici a germé le premier printemps de ma vie, — ici est sorti la première pousse de mon arbre de chansons ; ici j’ai senti mes ailes capables de voler ; — si vous ne m’abandonnez pas, je le sais, Svanhild, — ici, ici je deviens poète !

Svanhild, avec un doux reproche, en retirant sa main

— Oh, pourquoi me dites-vous cela maintenant ? C’était si bien de se rencontrer en liberté. Vous auriez dû vous taire ; faut-il que le bonheur s’appuie sur une promesse, pour ne pas être détruit ! Maintenant vous avez parlé, maintenant tout est perdu.

Falk

. — Non, j’ai montré le but, sautez, ma fière

Svanhild, — si vous osez le saut. Soyez hardie, montrez que vous avez le courage d’être libre.

Svanhild

. — D’être libre ?

Falk

. — Oui, c’est bien la liberté, remplir pleinement

sa vocation ; et je le sais, vous avez été marquée par le ciel pour être mon égide contre la chute de la beauté. Il faut, c’est ma nature comme c’est celle de l’oiseau, que je monte contre le vent, pour atteindre les hauteurs. Vous êtes la brise qui peut me porter ; grâce à vous j’ai senti la force de mes ailes. Soyez à moi, à moi, jusqu’au moment où vous serez au monde, — quand les feuilles tomberont, nos chemins se sépareront. Chantez en moi la richesse de votre âme, et je rendrai poème pour poème ; ainsi vous pourrez vieillir à la lueur de la lampe, comme l’arbre jaunit, sans peine et plainte.

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