Page:Mercure de France - 1896 - Tome 17.djvu/214

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Naturellement ; elles s’en gardaient bien. (Avec un sourire.) Elles craignaient que « mon avenir » pût en souffrir, si des jeunes gens venaient à le savoir.

Falk, la regarde un instant avec une sympathie douloureuse

— J’avais pensé depuis longtemps que telle était votre histoire. — Je me rappelle exactement, la première fois que je vous vis, combien vous me paraissiez peu semblable aux autres, et que presque personne n’était de force à vous comprendre. Autour de la table où le thé répandait son parfum était assise la charmante société, — la causerie bourdonnait, les jeunes filles rougissaient et les jeunes gens flirtaient comme des pigeons domestiques par un jour étouffant. Sur la religion et la morale parlaient des vieilles filles et des matrones, et des jeunes femmes célébraient la vie de famille, tandis que vous étiez isolée comme un oiseau en cage. Et lorsqu’enfin le bavardage se fut élevé à une bacchanale de thé et une orgie de prose, — vous brilliez comme une médaille bien frappée au milieu de toute cette monnaie de billon. Vous étiez une pièce d’un pays étranger, qui suivait un autre cours, qui ne pouvait jamais servir à ces échanges animés de propos sur les vers, le beurre et l’art et tout cela. Alors, — justement comme Mlle Skære avait la parole. —

Svanhild, d’un ton sérieux

— Tandis que, son fiancé

se tenait debout, comme un hardi chevalier et tenait son chapeau sur son bras comme un bouclier —

Falk

. —- Votre mère vous fit signe de l’autre bout de

la table : « Bois, Svanhild, avant que le thé soit froid ». Et vous avez bu d’un trait la boisson tiède et fade que jeunes et vieux avaient goûtée. Mais le nom me frappa au même instant ; la sauvage Volsungsaga avec son horreur, avec sa longue série de lignées tombées, me parut s’étendre jusqu’à notre temps ; je vis en vous une seconde Svanhild, transformée, accommodée à notre époque. On a trop longtemps combattu pour le drapeau de mensonge de la règle, la foule maintenant demande trêve et paix, mais si pourtant est commis le crime d’insulte à la loi, il faut pour les péchés de tous qu’une innocente saigne.

Svanhild, avec une légère ironie

— Je ne me doutais

guère que de pareilles fantaisies, si sanglantes, pussent naître dans la vapeur du thé ; mais c’est sûrement votre moindre mérite d’entendre la voix des esprits, là où l’esprit se tait.