Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/60

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Styver

. — Oh, c’est facile à comprendre ; tu perçois

aisément qu’il est inexcusable de faire usage d’avis confidentiels ; — on ne raconte pas ces choses-là.

Falk

. — Non, j’ai entendu dire que ce serait dangereux.

Styver

. — Oui, sacrebleu !

Falk

. — Oui, mais seulement pour des gens d’importance.

Styver

(en colère). — C’est dangereux pour toute

espèce de gens de bureau. Tu peux penser combien cela restreindrait toute vue d’avenir pour moi, si mon chef pensait que j’ai un pégase qui s’en va hennissant aux heures de travail dans un tel bureau. Tu sais depuis « l’intérieur » jusqu’aux « cultes » on n’aime pas les allures du cheval ailé. Mais le pis reste, au cas où cela se saurait, que j’ai failli au premier commandement du bureau, et publié des choses secrètes.

Falk

. — Une telle imprudence est-elle punissable ?

Styver

(mystérieusement). — Elle peut obliger un

homme public à demander tout de suite sa démission. C’est une loi pour nous, fonctionnaires, d’aller avec une serrure sur la bouche même chez les amis.

Falk

. — Mais cela est tyrannique de la part d’un chef,

de lier la bouche d’un — employé, qui s’éreinte.

Styver

(ferme). — C’est la loi ; il faut la subir sans

murmure. En outre, en un moment comme celui-ci, où l’on est sur le point de faire la révision des traitements, ce n’est pas habile de fournir des renseignements sur l’emploi des heures de bureau, et ce qu’on y fait. Vois, c’est pourquoi je te prie, tais toi ; — un mot peut me séparer du —

Falk

— Portefeuille ?

Styver

. — Officiellement cela s’appelle « recueil des

minutes ». Le registre doit rester fermé comme une broche qui ferme le corsage sur le sein ; dévoiler ses secrets fait du tort.

Falk

. — Et cependant ce fut toi-même qui m’as fait

parler en révélant un coin du trésor du pupitre.

Styver

. — Oui, savais-je moi, que le prêtre pourrait

s’enfoncer si profondément dans la boue, lui qui a le bonheur, qui a un emploi, une femme, des enfants et de l’argent pour résister aux chocs de la vie ? Mais s’il peut tomber jusque-là, que dira-t-on de nous autres employés, de moi, qui n’ai guère eu d’avancement, et ai une fiancée, et bientôt me marierai, et devrai veiller à élever ma famille, etc. ! (Plus vivement.) Oh, si j’étais un