Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/61

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homme riche, je raidirais l’armure sur l’épaule, et je romprais en visière au monde entier. Et si j’étais célibataire, moi, comme toi, tu peux croire qu’à travers la neige de la prose, je déploierais la banniere pour l’idée !

Falk

. — Sauve-toi donc, homme !

Styver

. — Quoi ?

Falk

. — Il est temps encore ! Ne fais pas attention à

tous ces habiles hibous jugeurs : souviens-toi que la liberté fait de la chenille même un oiseau d’été !

Styver

(recule). — Tu yeux dire que je devrais rompre — ?

Falk

. — Oui ; — si la perle est partie, qu’importe

l’enveloppe ?

Styver

. — Une pareille proposition pourrait être

faite à un débutant, non à un homme qualifié en droit ! Je ne compte pas ce que Kristian V [1] en son temps prescrivit, sur les fiançailles, — car ce genre de relation ne se trouve pas visé dans la « loi criminelle » de 42 ; au surplus la chose ne serait pas criminelle, il n’y aurait aucune infraction à la légalité —

Falk

. — Tu vois bien !

Styver

(ferme).— Oui, mais cependant, — d’une pareille

exception [2] on n’a jamais parlé. Dans les temps gênés nous nous aimions fidèlement ; elle n’exige pas beaucoup des joies de la vie, et je suis content de peu, j’ai depuis longtemps flairé que j’ai été fait pour la maison et le bureau. Que d’autres suivent l’envolée du troupeau de cygnes ; la vie dans le petit peut aussi être jolie. Que dit donc quelque part le conseillé privé Goethe, sur la voix lactée, brillante et blanche ? Personne n’en peut écumer la crème du bonheur, et encore moins en faire du beurre —

Falk

. — Quand même le but serait le barattage du

beurre du bonheur, il faut que l’esprit du moins gouverne toute la peine ; — un homme doit être citoyen de son temps, mais élever la vie sociale de son temps. Oui, sûrement, il y a beauté dans le petit ; mais l’art est de voir et de comprendre. Chacun, qui aime à cultiver la terre, ne doit pas pour cela se croire semblable au paysan de la vallée.

  1. Dans le code de Kristian V, livre III, chap. 18, se trouvent les prescriptions relatives aux fiançailles et au mariage, dont le Ier paragraphe est ainsi conçu : « Qui veut prendre femme la demandera à ses parents ou tuteurs, mais avec son oui et consentement. » Par un autre article, les fiançailles secrètes sont interdites.
  2. Au sens juridique.