Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/65

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Falk

(surpris). — Nous trois ?

Guldstad

. — Oui, Falk, — maintenant, il faut jeter

le masque.

Falk

(réprime un sourire). — À votre service.

Guldstad

. — Écoutez donc. Voilà environ une demi-année

que nous nous sommes connus ; — nous nous disputions —

Falk

. — Oui.

Guldstad

. — Presque jamais nous n’étions d’accord ;

nous nous sommes parfois donné mutuellement la bordée ; vous étiez comme le commandant d’une affaire méditée, et je n’étais qu’un des simples des faits journaliers. Et pourtant c’était comme si une corde nous eût liés l’un à l’autre, comme si mille choses oubliées des orgies de pensées de ma propre jeunesse, évoquées par vous, revenaient au jour. Oui, oui, vous me regardez, mais les cheveux grisonnants ont aussi débordé libres et bruns un printemps, et le front, qui arrose la vie journalière d’un homme d’une sueur d’esclavage, n’a pas toujours porté des rides. Mais assez là-dessus ; je suis homme d’affaires —

Falk

(légèrement moqueur). — Vous êtes la saine intelligence

pratique.

Guldstad

. — Et vous êtes le jeune brillant chanteur

de l’espoir. (Il se met entre eux.) Ainsi, voyez, Falk et Svanhild, me voici. Maintenant il faut parler ; car l’instant est proche, qui secrètement apporte bonheur ou regret.

Falk

(raide). — Parlez donc !

Guldstad

(souriant). — Je vous ai dit hier que je méditais

une sorte de poème —

Falk

. — Réel.

Guldstad

(fait lentement signe que oui). — Oui !

Falk

. — Et si l’on demande d’où vous tirez la matière — ?

Guldstad

(regarde un instant Svanhild et se tourne de

nouveau vers Falk). — C’est une même matière que tous deux avons trouvée.

Svanhild

. — Maintenant je dois partir.

Guldstad

. — Non restez, et écoutez jusqu’au bout. À

une seconde femme je n’ai rien demandé de pareil. Vous, Svanhild, j’ai appris à vous connaître à fond ; pour faire ici la prude, votre âme est trop fière. Je vous ai vue grandir, vous développer ; vous possédiez tout ce que j’estime en une femme ; mais longtemps