Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/66

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je n’ai vu en vous qu’une fille ; — maintenant je demande — voulez-vous être ma femme ?

(Svanhild se détourne honteuse.)
Falk

(lui saisit le bras). — N’en dites pas plus !

Guldstad

. — Doucement ; elle répondra. Demandez,

vous aussi, — — qu’elle puisse choisir librement.

Falk

. — Moi — dites-vous ?

Guldstad

(le regarde fixement). — Il s’agit de conserver

trois vies au bonheur, — non seulement la mienne. Ne dissimulez pas, cela ne vous servirait guère car, bien que mes actions soient très bas, j’ai reçu pourtant une sorte de don de pénétration. Oui, Falk, vous l’aimez. Avec joie j’ai vu ce jeune amour s’épanouir en fleur ; mais cet amour, le fort, hardi, c’est lui-même qui peut briser son bonheur.

Falk

(en sursaut). — Vous osez dire cela !

Guldstad

(tranquille). — Par droit d’expérience. Si

maintenant vous la gagniez —

Falk

(menaçant). — Eh bien ?

Guldstad

(lentement et posément). — Oui, supposez

qu’elle ose tout construire sur cette base, et tout risquer sur cette seule carte, — et que l’orage de la vie balaye cette base, et que la fleur se fane sous les ombres du temps ?

Falk

(s’oublie et s’écrie). — Impossible !

Guldstad

(avec un regard significatif). — Hum, ainsi

pensais-je aussi, quand j’étais jeune, comme vous. Autrefois j’ai brûlé pour une femme ; puis nos chemins se séparèrent. Hier nous nous sommes rencontrés ; — rien n’est resté.

Falk

. — Hier ?

Guldstad

(sourit sérieusement). — Hier. Vous connaissez

la femme du prêtre —

Falk

. — Quoi ? C’était elle qui —

Guldstad

. — Qui alluma la flamme. D’elle j’ai eu

l’esprit occupé pendant bien des années, et toujours elle apparaissait devant mon souvenir, telle qu’elle était, la jolie jeune femme, lorsque nous nous sommes rencontrés au frais printemps. Maintenant vous allumez le même feu de folie, maintenant vous tentez le même jeu de hasard, — voyez, c’est pourquoi je dis : Prudence ! Arrêtez, et réfléchissez ; — votre jeu est dangereux !

Falk

. — Non, j’ai dit à toute la société du thé ma

forte foi ; qu’aucun doute ne peut ébranler —

Guldstad

(achève la pensée). — Que l’amour à libre