Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/71

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Svanhild

(douloureusement). — Oh, « longtemps »,

« longtemps » ; — mot pauvre et misérable ! Que peut valoir « longtemps » pour l’amour ? C’est son arrêt de mort, la moisissure sur la semence. « À tout jamais je crois à l’amour » — la chanson se taira donc, et à la place on entendra : Je t’aimais l’an dernier ! (Comme soulevée par une forte inspiration.) Non, ce n’est pas ainsi que notre jour de bonheur baissera, il ne mourra pas avec des larmes de soleil derrière un nuage à l’ouest ; — notre soleil s’éteindra, comme une merveille de l’air, en plein midi, alors qu’il brille le mieux !

Falk

(effrayé). — Que veux-tu, Svanhild ?

Svanhild

. — Nous sommes enfants du printemps ;

après lui ne viendra pas d’automne, alors que l’oiseau chanteur se tait dans ta poitrine, et jamais plus n’aspire là où il fut porté. Après lui jamais aucune couverture d’hiver ne jettera le voile sur le cadavre de tous les rêves ; — notre amour le joyeux, victorieusement fier, ne se consumera pas longtemps, ne s’énervera pas par l’âge, — il mourra, comme il a vécu, jeune et riche !

Falk

(dans une profonde douleur). — Et loin de toi, —

que me deviendra la vie ?

Svanhild

. — Que deviendra-t-elle près de moi — sans

amour ?

Falk

. — Un foyer !

Svanhild

.— Où l’alfe du bonheur lutterait avec la

mort. (Avec force.) Pour l’union avec toi la force ne me fut pas donnée, je le vois maintenant, je le sens et le sais ! Je pouvais t’enseigner le jeu joyeux d’amour, mais je n’ose porter ton âme à travers le grave. (Plus près avec une chaleur croissante.) Maintenant nous avons crié l’allégresse dans l’enivrement d’un jour de printemps ; maintenant aucun engourdissement, sur les coussins de la mollesse ! Donne à l’alfe des ailes, laisse-le pour le frémissement de la chanson, s’envoler en troupeau avec de jeunes dieux ! Et s’il a chaviré, notre bateau d’avenir, — une planche est sur l’eau. — je le sais ; le hardi nageur atteint le paradis ! Que le bonheur s’enfonce, plonge dans la tombe humide ; notre amour, pourtant, Dieu soit loué, victorieux et sauvé, touchera terre après le naufrage !

Falk

. — Oh je te comprends ! Mais se séparer ainsi !

Juste maintenant, quand le beau monde estouvert devant nous, — ici, au milieu de printemps, sous le ciel bleu, le jour même où notre jeune pacte a reçu le baptême !