Page:Mercure de France - 1896 - tome 18.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
Svanhild

. — C’est pour cela qu’il le faut. Après ce

moment, notre chemin d’allégresse ne peut que descendre ! Et malheur, quand une fois viendra le jour du jugement, et quand nous serons admis devant le grand juge, et quand il réclamera, Dieu équitable, le trésor qu’il nous a prêté dans le jardin de la vie, — alors, Falk, une réponse qui raye la grâce : « Nous l’avons-perdu sur le chemin de la mort ! »

Falk

(dans une forte résolution). — Jette l’anneau !

Svanhild

(avec feu). — Veux-tu ?

Falk

. — Jette-le ! Je te comprends ! Oui, c’est seulement

de cette manière que je t’obtiens ! Comme la tombe est le chemin vers l’aurore de la vie, ainsi l’amour est seulement voué à la vie, quand, délié des désirs, il s’enfuit délivré vers la patrie spirituelle du souvenir ! Jette l’anneau, Svanhild !

Svanhild

(avec enthousiasme). — Je suis dégagée de

mon devoir ! Maintenant j’ai rempli ton âme de lumière et de poésie ! Vole librement ! Maintenant tu as pris ton essor pour la victoire, — maintenant ta Svanhild a chanté le chant du cygne ! (Elle prend l’anneau et y dépose un baiser.) Jusqu’à la fin du monde parmi les joncs de la mer, enfonce-toi, mon rêve, — je te sacrifie pour l’amour ! (Elle remonte de quelques pas, jette l’anneau dans le fjord et se rapproche de Falk avec une expression radieuse.) Maintenant je t’ai perdu pour cette vie, — mais je t’ai gagné pour l’éternité !

Falk

(fortement). — Et maintenant à l’action journalière

chacun de son côté ! Sur terre ne se rencontreront plus jamais nos chemins. Chacun va, chacun lutte sans plainte. Nous étions atteints par les vapeurs fiévreuses du temps ; nous voulions la récompense de la victoire sans combat, la paix du sabbat sans jours de travail, bien que l’exigence soit lutter et renoncer.

Svanhild

. — Mais sans amertume.

Falk

. — Non, non, — avec le courage de la vérité.

Aucun débordement du flux de la vengeance ne nous menace ; le souvenir, dont tous deux avons hérité pour la vie, éclairera brillamment les nuages sombres, et sera comme l’arc-en-ciel aux sept couleurs le plus splendide, — comme le témoignage du pacte entre nous et Dieu. À cette clarté tu vas à tes tranquilles devoirs —

Svanhild

. — Et tu t’en vas là-haut vers ton but comme

poète !

Falk

. — Comme poète ; oui, car tout homme l’est,

dans l’école, le parlement ou l’église, tout