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Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/611

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« Déjà j’apercevais d’autres vastes formes — d’immenses édifices avec des parapets compliqués et de hautes colonnes, au flanc d’une colline boisée qui descendait doucement jusqu’à moi à travers l’orage apaisé. Je fus saisi d’une terreur panique. Je courus éperdument jusqu’à la machine et fis de violents efforts pour la rajuster. Pendant ce temps, les rayons du soleil percèrent l’amoncellement des nuages. La pluie torrentielle passa et s’évanouit comme le vêtement traînant d’un fantôme. Au-dessus de moi, dans le bleu intense du ciel d’été, quelques légers et sombres lambeaux de nuages tourbillonnaient en se désagrégeant. Les grands édifices qui m’entouraient s’élevaient clairs et distincts, brillant sous l’éclat de l’averse récente, et ressortant en blanc avec les grêlons non fondus, amoncelés au long de leurs assises. Je me sentais comme nu dans un monde étrange. J’éprouvais ce que peut-être ressent l’oiseau dans l’air clair, lorsqu’il sait que le vautour plane et va s’abattre sur lui. Ma peur devenait de la frénésie. Je respirai fortement, serrai les dents, et en vins aux prises, furieusement, des poignets et des genoux avec la machine : à mon effort désespéré, elle céda et se retourna, en venant me frapper violemment au menton. Une main sur la selle, l’autre sur le levier, je restai là haletant sourdement, prêt à repartir.

« Mais avec l’espoir d’une prompte retraite, mon courage me revint. Je considérai plus curieusement, et avec moins de crainte, ce monde d’un avenir éloigné. Par une fenêtre ronde, très haut dans le mur du plus proche édifice, je vis un groupe d’êtres revêtus de riches et souples robes. Ils m’avaient vu, car leurs visages étaient tournés vers moi.

« J’entendis alors des voix qui approchaient. Venant à travers les massifs qui entouraient le