Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/625

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constantes de défaillances. Le courage physique et l’amour des combats, par exemple, ne sont pas à l’homme civilisé de grand secours — et peuvent même lui être obstacles. Dans un état d’équilibre physique et de sécurité, la puissance intellectuelle, aussi bien que physique, serait déplacée. J’en conclus que pendant d’innombrables années il n’y avait eu aucun danger de guerre ou de violences isolées, aucun danger de bêtes sauvages, aucune maladie décimante qui aient requis la vigueur de constitution ou un besoin quelconque d’activité. Pour une telle vie, ceux que nous appellerions les faibles sont aussi bien équipés que les forts, et de fait ils ne sont plus faibles. Et vraiment mieux équipés sont-ils, car les forts seraient tourmentés par une énergie pour laquelle il n’existerait aucun débouché. Nul doute que l’exquise beauté des édifices que je voyais ne fût le résultat des derniers efforts de l’énergie maintenant sans but de l’humanité, avant qu’elle eût atteint sa parfaite harmonie avec les conditions sous lesquelles elle vivait — l’épanouissement de ce triomphe qui fut le commencement de l’ultime et grande paix. Ce fut toujours là le sort de l’énergie en sécurité ; elle se porte vers l’art et l’érotisme, et viennent ensuite la langueur et la décadence.

« Même cette impulsion artistique doit à la fin s’affaiblir et disparaître — elle avait presque disparu à l’époque où j’étais. S’orner de fleurs, chanter et danser au soleil, c’était tout ce qui restait de l’esprit artistique et rien de plus. Même cela devait à la fin faire place à une satisfaction inactive. Nous sommes incessamment aiguisés sur la meule de la souffrance et de la nécessité, et voilà qu’enfin, me semblait-il, cette odieuse meule était brisée.

« Et je restais là, dans les ténèbres envahissantes, pensant avoir, par cette simple explication,