Page:Mercure de France - 1898 - Tome 28.djvu/638

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vêtements et entrant dans le fleuve un peu plus bas, j’attrapai la pauvre créature et la ramenai sur la berge. Quelques vigoureuses frictions la ranimèrent bientôt et j’eus la satisfaction de la voir complètement remise avant que je ne parte. J’avais alors si peu d’estime pour ceux de sa sorte que je n’espérais d’elle aucune gratitude. Cette fois, cependant, j’avais tort.

« Cela s’était passé le matin ; l’après-midi, au retour d’une exploration, je revis la petite créature, une femme à ce que je pouvais croire, et elle me reçut avec des cris de joie et m’offrit une guirlande de fleurs, évidemment faite à mon intention. Je fus touché de cette attention. Je m’étais senti quelque peu isolé, et je fis de mon mieux pour témoigner combien j’appréciais le don. Bientôt nous fûmes assis sous un bosquet et engagés dans une conversation, composée surtout de sourires. Les témoignages d’amitié de la petite créature m’affectaient exactement comme l’auraient fait ceux d’un enfant. Nous nous présentions des fleurs et elle me baisait les mains. Je baisais aussi les siennes. Puis j’essayai de converser et je sus qu’elle s’appelait Weena, nom qui me sembla suffisamment approprié, encore que je n’eusse la moindre idée de sa signification. Ce fut là le commencement d’une étrange amitié qui dura une semaine et se termina — comme je vous le dirai.

« Elle était absolument telle qu’une enfant. Elle voulait sans cesse être avec moi. Elle tachait de me suivre partout, et à mon voyage suivant, j’avais le cœur serré de la voir s’épuiser de fatigue et je dus la laisser enfin, à bout de forces, et m’appelant plaintivement. Car il me fallait pénétrer les mystères de ce monde. Je n’étais pas venu dans le futur, me disais-je, pour mener à bien un flirt en miniature. Pourtant sa détresse quand je la laissais était grande ; ses plaintes et ses reproches