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la guerre des mondes

et reculer, mais c’était simplement que mes yeux se fatiguaient. Il était à soixante millions de kilomètres dans l’espace. Peu de gens peuvent concevoir l’immensité du vide dans lequel nage la poussière de l’univers matériel.

Près de l’astre, dans le champ visuel du télescope, il y avait trois petits points de lumière, trois étoiles télescopiques infiniment lointaines, et tout autour étaient les insondables ténèbres du vide. Tout le monde connaît l’effet que produit cette obscurité par une glaciale nuit d’étoiles. Dans un télescope elle semble encore plus profonde. Et invisible pour moi, parce qu’elle était si petite et si éloignée, avançant plus rapidement et constamment à travers l’inimaginable distance, plus proche de minute en minute de tant de milliers de kilomètres, venait la Chose qu’ils nous envoyaient, et qui devait apporter tant de luttes, de calamités et de morts sur la terre. Je n’y songeais certes pas pendant que j’observais ainsi — personne au monde ne songeait à ce projectile fatal.

Cette même nuit, il y eut encore un autre jaillissement de gaz à la surface de la lointaine planète. Je le vis au moment même où le chronomètre marquait minuit : un éclair rougeâtre sur les bords, une très légère projection des contours ; j’en fis part alors à Ogilvy, qui prit ma place. La nuit était très chaude et j’avais soif. J’allai, avançant gauchement les jambes et tâtant mon chemin dans les ténèbres, vers la petite table sur laquelle se trouvait un siphon, tandis qu’Ogilvy poussait des exclamations en observant la traînée de gaz enflammés qui venait vers nous.

Vingt-quatre heures après le premier, à une ou deux secondes près, un autre projectile invisible,