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mercvre de france—xii-1899

— Tais-toi donc, répondit un autre. Qu’est-ce que tu feras avec ton abri contre leur diable de Rayon Ardent ? Tu iras te faire cuire ! Ce qu’il y a à faire, c’est de s’approcher autant que le terrain le permettra et là creuser une tranchée.

— Un beau moyen, les tranchées ! Il ne parle tout le temps que de creuser des tranchées, celui-là. C’est pas un homme, c’est un lapin.

— Alors, ils n’ont pas de cou ? me demanda brusquement un troisième, petit homme brun et silencieux, qui fumait sa pipe.

Je répétai ma description.

— Des pieuvres, tout simplement, dit-il. On dit que ça pêche les hommes — maintenant on va se battre avec des poissons.

— Il n’y a pas de crime à massacrer les bêtes comme ça, remarqua le premier qui avait parlé.

— Pourquoi ne pas bombarder tout de suite ces sales animaux et en finir d’un seul coup ? dit le petit brun. On ne peut pas savoir ce qu’ils sont capables de faire.

— Où sont tes obus ? demanda le premier. Il n’y a pas de temps à perdre. Il faut charger dessus et tout de suite, c’est mon avis.

Ils continuèrent à discuter la chose sur ce ton. Après un certain temps, je les quittai et me dirigeai vers la gare pour y chercher autant de journaux du matin que j’en pourrais trouver.

Mais je ne fatiguerai pas le lecteur par une description plus détaillée de cette longue matinée et de l’après-midi plus long encore. Je ne pus parvenir à jeter le moindre coup d’œil sur la lande, car même les clochers des églises de Horsell et de Chobham étaient aux mains des autorités militaires. Les soldats auxquels je m’adressai ne savaient