Page:Mercure de France - 1914-06-16, tome 109, n° 408.djvu/119

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du village, bien qu’il fût déjà tard, mais personne ne semblait vouloir aller se coucher, ce soir-là, c’était comme une autre nuit de Noël, une fausse nuit de Noël. Minuit sonna, elle attendait toujours, des gens continuaient d’aller et de venir devant sa porte ; on entendait causer dans les maisons voisines ; et redressant péniblement sa tête (assise ainsi devant le feu, dans son vieux corsage noir plat et sa grosse jupe à beaucoup de plis), toutes les fois qu’un de ces bruits de pas ou une de ces voix se faisait entendre, elle se disait : « Est-ce lui ? »

Mais il ne venait pas, et c’est ainsi que peu à peu tout redescendit au silence, parce qu’une heure avait sonné et deux heures allaient sonner. Il ne viendrait plus ; elle devint toute triste. Et elle se décida enfin à aller se mettre au lit, ne pouvant quand même rien faire, et le feu brûlait inutilement.

Elle entra dans sa chambre et commença de se déshabiller. C’est alors qu’il lui sembla qu’une main tâtonnait au trou de la serrure, pourtant elle n’avait pas entendu marcher. Mais, prêtant mieux l’oreille, en effet quelqu’un avec une clef devait chercher à ouvrir, et c’était une très vieille serrure compliquée, avec un loquet à secret, et celle clef déjà pesait près d’une livre. Il y eut pourtant pour finir le craquement qu’elle attendait. Alors elle n’hésita plus ; à moitié déshabillée, elle courut à la cuisine. Juste au moment qu’elle y arrivait, la porte lentement s’ouvrit (et elle ne grinça point, la porte) et elle vit son fils entrer. Il ne fit aucun bruit, lui non plus, elle crut tout d’abord voir entrer un fantôme ; elle eut peur et se recula. Mais, lui, ayant levé la main, lui fit signe de se taire. Et elle vit alors que ses souliers étaient enveloppés de chiffons.

Il avait refermé la porte avec les mêmes précautions qu’il avait prises pour l’ouvrir, il s’était avancé vers elle, et avant qu’elle eût eu le temps d’ouvrir la bouche :

-— Mère (il parlait très bas et très vite), mère, prépare-moi du pain, du fromage, de la viande séchée et une bouteille de vin. Tu mettras le tout dans un panier. Et donne-moi aussi les couvertures, mère, les plus chaudes, tu sais, celles qui sont dans mon lit…

Elle ne fît attention qu’à sa dernière phrase, et elle dit :

— Et toi ?…