Page:Mercure de France - 1914-06-16, tome 109, n° 408.djvu/120

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Mais il repartait déjà :

— Mère, s’il te plaît, dépêche-toi, parce qu’il est déjà très tard et la nuit sera bientôt passée…

Et, comme elle ne bougeait toujours point, il alla lui-même ouvrir le râtelier et prenait dedans les provisions mises de côté sur des assiettes…

— André ! dit-elle.

Il se retourna.

— André, tu es mon fils, dis-moi tout…

Il lui demanda :

— Quoi te dire ?

Elle dit :

— Me dire à qui tu portes tout ça.

Alors il répondit :

— Est-ce bien vrai, mère ? tu n’as pas encore compris ?

Il s’était redressé, et elle voyait ses beaux grands yeux noirs briller à la lueur de la chandelle. Elle voyait que c’était son fils et qu’il était grand et beau. Elle voyait que ses habits étaient tout trempés de neige fondue et il y avait à ses genoux deux larges ronds d’humidité. Des gouttes pendaient dans sa barbe.

Elle courut à lui, et, le prenant par le cou :

— André, rappelle-toi que je suis ta mère. On a toujours vécu ensemble, il fait froid dehors, tu seras malade : André, s’il te plaît, reste avec moi. On ne saura rien…

Elle reprit :

Il ne saura rien…

Elle continua :

— Et puis ils disent que c’est un méchant homme.

Mais il l’avait durement repoussée et il avait haussé la voix :

— Et toi, aurais-tu oublié ? Quand ils t’avaient couchée sur cette table, rappelle-toi et qu’ils disaient : « Elle est perdue », et moi j’étais venu me mettre à côté de toi, t’ayant appelée bien des fois sans que tu m’eusses répondu, alors je n’osais même plus le regarder… Ça n’est pas bien vieux, tout ça, mère, moi je ne l’ai pas oublié…

Elle avait laissé retomber ses bras, elle ne disait plus rien.

Et il recommença alors : « Faisons vite ! » A peine si elle se tenait debout. Il avait été prendre un gros panier : il y déposa