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Page:Mercure de France - 1er septembre 1920, tome 142, n° 533.djvu/12

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passaient ainsi que sous le Gouvernement Provisoire qui cherchait à instaurer la vérité à la place de la force. Et, à ce point de vue, il faut dire que le Gouvernement Provisoire essayait bien d’atteindre un but révolutionnaire, mais en créant en Russie une nature d’hommes de vérité, quelque chose du genre de ce qu’avaient rêvé et dont avaient parlé le comte Tolstoï, le prince Kropotkine, et qui n’était apparemment pas étranger à nos Slavophiles. Je sais évidemment fort bien que ni le prince Lwoff, ni Milioukoff, ni Kerenski n’étaient assez naïfs pour tendre consciemment à la réalisation en Russie de l’idéal anarchiste ; mais, en fait, c’était bien l’anarchie qu’ils favorisaient. Nous avions un gouvernement, nous n’avions pas d’autorité, et les hommes qui faisaient partie du gouvernement couvraient de leur nom l’absence de toute autorité. Lorsqu’il s’est agi de choisir entre les méthodes de gouvernement employées par les fonctionnaires tsaristes et l’inaction de l’autorité, le Gouvernement Provisoire préféra l’inaction. Quant à trouver quelque chose de nouveau il n’a pas su le faire. Les Bolchéviks ayant remplacé le Gouvernement Provisoire se sont trouvés devant le même dilemme : ou les méthodes tsaristes ou l’absence de toute autorité. L’absence de toute autorité ne pouvait séduire les Bolchéviks, l’exemple du Gouvernement Provisoire ayant montré que l’absence de toute autorité était loin d’être chose aussi inoffensive que cela avait d’abord semblé à plus d’un ; mais quant à trouver quelque chose qui leur fût propre, les Bolchéviks, eux non plus, ne l’ont pas su. Et avec l’audace propre à des gens qui ne se rendaient pas compte de tout ce que présentait de gravité et de responsabilité la tâche qu’ils assumaient, les Bolchéviks ont décidé de rester fidèles entièrement et complètement aux errements de la vieille bureaucratie russe. Dès ce moment-là, pour quiconque était tant soit peu clairvoyant, apparurent du coup l’essence même du bolchévisme et son avenir.

Il était clair que la Révolution était écrasée et que le