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Page:Mercure de France - 1er septembre 1920, tome 142, n° 533.djvu/26

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tion et créer, ils sont absolument incapables d’une création positive. Car l’esprit d’asservissement dont est imbue toute leur activité, et même toute leur idéologie simplifiée, tue toute création dans son germe. Voilà ce que ne comprenaient pas les hommes politiques du régime tsariste et voilà ce que ne comprennent pas non plus les Bolchéviks, bien qu’aussi longtemps qu’ils furent dans l’opposition ils aient disserté beaucoup sur ce sujet, tant à la Douma que dans leurs publications clandestines. Mais toutes ces dissertations sont oubliées comme si elles n’avaient jamais existé. À l’heure actuelle, il n’y a en Russie que des journaux gouvernementaux et des orateurs gouvernementaux. Seul peut écrire et parler qui glorifie l’activité des classes dirigeantes. C’est une erreur de croire que les paysans et les ouvriers au nom desquels gouvernent les Bolchéviks possèdent, sous ce rapport le moindre avantage sur les autres classes. Ne sont privilégiés, comme d’ailleurs sous l’ancien régime, que les éléments bien pensants, c’est-à-dire ceux qui, sans murmurer et même mieux, obéissent aux ordres du gouvernement ; mais ceux qui protestent, qui osent avoir une opinion personnelle, pour ceux-là il n’y a plus maintenant de place en Russie, et cela bien moins encore, infiniment moins encore que sous le régime des tsars. Sous les tsars on s’exprimait dans ce que nous appelions la langue d’Ésope, mais l’on pouvait tout de même parler sans risquer la liberté et même la vie. Quant à se taire, cela n’était défendu à personne. Maintenant il est défendu même de se taire. Si l’on veut vivre, il faut exprimer sa sympathie pour le gouvernement, il faut le couvrir de fleurs. On voit à quel résultat aboutit un tel état de choses : une énorme quantité d’hommes incapables et sans conscience, à qui il est parfaitement indifférent de louer n’importe qui et de dire n’importe quoi, est remontée à la surface de la vie politique. Les Bolchéviks eux mêmes le savent fort bien et ils ne manquent pas d’être effrayés de ce qui s’est passé. Mais ils ne peuvent rien faire et l’on ne peut rien faire. Les hommes