Aller au contenu

Page:Meredith - L’Égoïste, 1904.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
CHAPITRE VI

Lady Patterne : « La veuve ! » Si vous saviez ce qu’ils disent des veuves ! Bouchez vos oreilles, mon ange ! Mais si la veuve les tient à distance, suit le droit chemin, elle les force au respect. Le mari défunt n’est plus le misérable déshonoré qu’ils ont cru. Il vit dans le cœur de sa femme. Clara ! ma Clara ! comme je vis dans le vôtre, que je sois ici ou ailleurs ; que vous soyez l’épouse ou la veuve. Il n’est point de distinction en amour. — Je suis votre mari — dites-le — pour l’éternité. Oh ! l’apaisement ! Je ne puis endurer cette peine ! Déprimé ? Oui ! J’ai des raisons de l’être. Mais cette pensée me hante depuis le jour où nous avons joint nos mains. Vous avoir — vous perdre !

— Mais est-il impossible que je meure la première ? disait Miss Middleton.

— Et vous perdre, avec cette pensée, que, aimable comme vous l’êtes, la meute mondaine aboyant autour de vous, pourrait… Est-il étonnant dès lors que mes sentiments envers le monde… Cette main — la pensée est horrible. Vous seriez entourée, les hommes sont des brutes ; le fumet de l’inconstance les excite, les réjouit. Et je n’y peux rien ! Il y a de quoi devenir fou ! Je vois un cercle de singes grimaçants. Votre beauté serait profanée par le désir des hommes. Vous seriez persécutée jour et nuit pour quitter mon nom, pour… Ah ! j’en ressens l’angoisse. Vous n’auriez aucun repos, rien qui puisse vous mettre à l’abri, sinon votre serment.