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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/104

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

mon honneur de sombres vêtements, si le sort m’appelait le premier à grossir l’armée des ombres infernales. La femme qui affiche en public son mari défunt me paraît manquer de décence, malgré toute la perfection avec laquelle elle peut jouer son rôle de veuve professionnelle.

Il secoua de ses doigts la poussière de lichen et fit observer que le contraste entre la décrépitude du sapin et la prospérité de ses congénères était peut-être plus frappant encore sous le soleil. Puis ses yeux se reportèrent sur la chevelure de son amie où des serpents d’or semblaient se jouer, tandis qu’à petite distance l’arbre paraissait couvert de ternes lézards.

— Verrai-je bientôt votre baronne ? demanda soudain Clotilde.

— Pas avant la cérémonie. Chaque chose à son temps. Vous comprenez : une vieille amie qui fait place à une nouvelle venue, jeune, belle, casquée de tresses d’or… au premier moment… Mais elle a le cœur solide, je vous en réponds. Soyez sans crainte ; je la connais jusqu’aux moelles ! Elle souhaite mon bien et sert mes désirs. Si je lui ai quelques obligations, elle m’en a de bien plus lourdes encore. Tout ce qu’elle exigera, c’est que ma femme soit digne de moi, doive m’être une bonne compagne dans les luttes à venir. Or, ma fiancée, j’ai sondé son cœur et j’y ai trouvé la moitié du mien : cela suffit pour qu’elle soit agréée par la baronne.

Ils laissèrent derrière eux l’arbre fatal.

— Nous prendrons soin de ne plus revenir par ici, fit Alvan sans regarder en arrière. Cet arbre sort des plantations du monde infernal, où ses