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Page:Meredith - Les Comédiens tragiques, 1926.djvu/105

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LES COMÉDIENS TRAGIQUES

pareils bordent l’Achéron. Il s’est miré dans le sinistre fleuve ; Hécate et Hermès le hantent ; Phœbus ne saurait l’éclairer. Symbole de la mort triomphante, il nous paraît lugubre, mais semble familier à ceux de là-bas. Là-bas ! Quand y descendrons-nous ? Le frisson qui agite cet arbre, c’est l’air qui circule entre la vie et la mort, c’est le passage des fantômes qui vont et viennent. Il est planté sur la ligne de démarcation, et j’ai senti le frôlement des ombres. Vous aussi, je crois. La véritable raison — il y a toujours une raison matérielle — c’est que vous aviez chaud et que la fraîcheur du vent vous a saisie pendant que vous aviez les yeux levés. En ce qui me concerne, je me demandais, à ce moment précis, s’il y avait une raison qui pût nous séparer et je devais m’avouer que la mort pourrait nous jouer ce tour. Mais la mort, mon amour, est loin de nous deux !

— Est-elle aussi déplaisante, en réalité, que sur sa photographie ? demanda Clotilde.

— Qui ? la baronne ? Alvan ne put s’empêcher de rire. Il avait été plus facile de défendre la baronne contre son mari que contre cette enfant. C’est la meilleure des camarades, la plus sûre des amies. Elle a ses défauts et ne goûtera peut-être pas le décret qui lui annoncera sa déposition définitive, mais soyez-moi fidèle, et je me porte garant qu’elle vous le sera à vous-même, comme elle me le fut sans aucune défaillance. Ma pauvre Lucie !… Elle est l’hiver, je vous le concède, mais pas l’hiver des steppes. Comparez-la à l’hiver d’un noble pays, à un beau paysage de neige. Les traits de son visage… Elle a une haute intelligence. Que ne dois-je pas à son enseignement ? On rencontre parfois des hommes